ANALYSES

« Faire pression sur la Syrie par des sanctions économiques et politiques »

Presse
30 août 2011
Pascal Boniface - La Tribune
En Libye, vu la division historique du pays entre ses régions, ses tribus et aujourd’hui les différentes composantes du Conseil national de transition, comment le pays va-t-il se reconstruire ?

La façon dont le CNT, aujourd’hui composé à la fois d’opposants historiques et d’anciens fidèles à Kadhafi, va évoluer est la question centrale de l’avenir de la Libye : car si cette hétérogénéité est nécessaire pour que cet organe soit représentatif, l’expérience montre qu’une fois passée la période d’euphorie, les coalitions qui ont servi à fédérer les mouvements protestataires ont du mal à survivre et à conserver leur leadership. Or nombre de questions vont devoir être réglées au niveau national, comme la répartition de la rente pétrolière ou encore la place laissée à l’opposition, et à l’islam, dans le nouveau système politique. Enfin, sachant que les rebelles ont renversé Kadhafi avec une aide militaire extérieure qui fut décisive, sauront-ils le faire oublier à la population arabe et prouver leur indépendance par rapport aux puissances occidentales toujours considérées comme des colonisateurs?


Quel peut être I’effet de la chute de Kadhafi sur le monde arabe ?

Il est certain que personne, là-bas, ne le regrettera ! Surtout pas Tunis, ni Le Caire, car Kadhafi, qui avait ouvertement soutenu Ben Ali, menaçait directement leur révolution. Sans compter que cela va les soulager du poids des réfugiés qui ont afflué vers la Tunisie pour fuir la guerre civile. La question est plutôt de savoir s’il peut y avoir un effet domino, par exemple sur l’Algérie, les pays du Golfe ou Bahreïn. Je n’y crois pas, car la Libye n’est ni la Tunisie ni l’Egypte, dont les peuples se sont débarrassés seuls de leur dictateur. Ni même la Syrie qui, elle, conserve une armée puissante et des alliés de poids. La chute de Kadhafi restera, je pense, un cas tout à fait à part des révolutions arabes.


Après avoir été beaucoup décriée, l’Otan a finalement atteint les objectifs qu’elle s’était fixés. La chute de Kadhafi va-t-elle constituer un tournant dans le fonctionnement de l’Otan?

Il est clair que l’issue de cette opération légitime sa demande d’élargir son champ d’action et le cadre géographique de ses missions potentielles. Et cela compense ses difficultés en Afghanistan. Cela dit, ses interventions en concertation avec les rebelles libyens, alliées à des moyens aériens et logistiques très importants face à un pays très faible, lui assuraient une victoire facile. Il me semble que derrière ce succès se profilent de nouvelles difficultés pour l’Otan qui se voit reprochée par Moscou d’avoir changé sa mission en cours de route, de la protection des habitants de Benghazi à la cobelligérance. Alors que la mission initiale de « responsabilité de protéger » était novatrice, car elle permettait de sortir de l’opposition entre l’ingérence et la passivité face aux tyrans, le changement de mission en cours d’opération a clairement compromis le recours futur à cette nouvelle mission.


Le rôle de la France, à l’initiative de cette mobilisation, va-t-il rehausser sa stature au sein des pays arabes, sur la scène internationale, mais aussi en France?

Cette vaste opération est, certes, emblématique de l’activisme d’un président qui aime se saisir d’un problème pour en venir à bout rapidement. Elle restera comme une opération militaire réussie. Reste que, sur le plan diplomatique, reconnaître de manière prématurée le CNT à la veille d’un sommet européen, sans avoir consulté les autres chefs d’État de l’Union, me paraît être une sérieuse erreur tactique: en faisant une fois de plus cavalier seul, il a raté l’occasion de faire émerger une position européenne cohérente. La France réussit en Europe lorsqu’elle tente de construire des positions communes autour de ses initiatives, et non lorsqu’elle tente de tirer la couverture à elle en mettant les autres devant le fait accompli. Ensuite, il me semble que le vrai maître d’œuvre de cette opération est plutôt Alain Juppé qui a su obtenir l’abstention de la Russie et de la Chine au Conseil de sécurité de l’ONU en février. Sans leur accord, nous aurions dû y aller seuls ou avec la seule Angleterre pour alliée. Ce qui aurait tourné au fiasco, comme l’opération sur le canal de Suez en 1956. Grâce à l’habileté de Juppé, on a pu mener une vraie opération internationale coordonnée. Ce vote était absolument essentiel pour la réussite de l’opération. Ce succès peut-il marquer le début d’une nouvelle diplomatie française, qui fut si décriée pour avoir soutenu tous les dictateurs arabes au nom de la stabilité?


Le discours que doit prononcer le président le 31 août à la conférence annuelle des ambassadeurs sera-t-il porteur d’une nouvelle doctrine française ?

Attention, cette opération, qui fut traitée par notre président comme un dossier et non comme l’application d’une doctrine de la diplomatie française, ne définit pas pour l’avenir un modus operandi de la France. Je le répète, la Libye reste un cas tout à fait à part d’un tyran dont la planète tout entière voulait se débarrasser. Et c’est tant mieux, car je nous vois mal intervenir de la sorte à Bahreïn, en Syrie, en Corée du Nord ou encore à Myanmar. Fondamentalement, nous restons dans la realpolitik. Cela dit, il est plus que probable que le président candidat en 2012 s’en servira pour prouver à nouveau sa stature présidentielle face à ses opposants.


Parlons de la Syrie. Les Occidentaux, qui ont réclamé de concert le départ de Bachar al-Assad, vont-ils l’obtenir ?

II me semble que le vrai maître-d’œuvre de l’opération en Libye est plutôt Alain Juppé, qui a su obtenir l’abstention de la Russie et de la Chine au Conseil de sécurité. » Tant que la Russie et la Chine camperont sur leurs positions, ces déclarations resteront des incantations sans effet autre que de donner l’impression à leurs propres populations qu’ils restent vigilants face aux dictateurs. L’urgence est de convaincre les membres non occidentaux du Conseil de sécurité d’agir en commun.


Une intervention militaire est-elle envisageable?

Elle poserait plus de problèmes qu’elle n’apporterait de solution, pour plusieurs raisons: il n’y a pas encore sur place de véritables insurgés, seulement des manifestants; l’armée syrienne est puissante et n’entretient pas de relations avec les armées occidentales, comme le faisaient les armées tunisienne et égyptienne ; quant à la place qu’occupé la Syrie sur l’équilibre de la région, elle est telle que je vois mal le risque que prendraient les pays occidentaux à déclencher un chaos régional par des déflagrations en chaîne, avec le risque d’une entrée en scène de l’Iran et d’Israël.


Dès lors, comment faire pression sur Bachar al-Assad?

C’est par un jeu de sanctions économiques et politiques qu’il faut agir, lequel devra avoir été négocié au préalable avec les Russes et les Chinois. Comme lorsque l’on a voulu que le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution sur le nucléaire iranien. En tout cas, une démarche purement occidentale serait vouée à l’échec. Mais vu que la répression de Damas ne fait pas faiblir les manifestants, je suis convaincue que tôt ou tard Bachar al-Assad partira car il est condamné. À l’heure des réseaux sociaux et de la mobilisation mondiale, aucun dictateur ne peut tenir par la seule répression.


Doit-on craindre que l’isolement du leader syrien n’amène l’Iran à venir à son aide?

L’Iran me semble aujourd’hui trop affaibli pour cela. Entre la main tendue d’Obama qui décrédibilise l’idée que l’Iran est menacé par les Etats-Unis, la faiblesse de l’économie iranienne, et la peur d’Ahmadinejad de voir les aspirations à la révolution contaminer son propre peuple qui n’attend que ça, je le vois mal venir en aide à Damas au-delà d’une aide matérielle ponctuelle.

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