ANALYSES

Révolution : avec la crise, les Américains veulent une Europe forte

Presse
17 octobre 2011
Interview de [Pierre Verluise->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=verluise], directeur de recherche à l’IRIS

Le milliardaire George Soros, dans une lettre publiée par le Financial Times, a lancé mercredi un appel pour "ne pas laisser la crise de l’euro détruire le système financier". Quand les Américains s’en mêlent, gare à l’intégration européenne !


Le milliardaire George Soros, dans le Financial Times, appelle l’Europe à prendre rapidement des mesures pour sortir de la crise. Pourquoi les Américains ne s’intéressent-ils que maintenant à la crise de l’Euro ?

Ils s’intéressent aujourd’hui plus qu’hier à la crise de l’Euro, puisque désormais celle-ci les menace directement. Durant ses 18 premiers mois d’exercice, Barack Obama s’est assez peu penché sur les questions européennes, plus préoccupé alors par la question asiatique.


La crise venue d’outre atlantique avec la débâcle des subprimes de 2007, puis la faillite de Lehman Brothers en 2008, s’est propagée en Europe et a muté en crise économique, sociale et monétaire d’une telle ampleur, que les Etats-Unis n’ont eu d’autre choix que de se pencher de près sur le cas de la zone Euro.


Le discours américain est certes plein de bon sens, mais si les déréglementations financières des années Reagan et celles qui ont suivi n’avaient pas été, l’Europe et le monde n’en seraient peut-être pas là. Dans la zone de l’UE, la crise venue des Etats-Unis a coûté de 7 à 8 millions de chômeurs supplémentaires. Les Etats-Unis devraient donc faire preuve d’un peu de modestie, puisqu’ils ont une part de responsabilité dans cette affaire.


Il est important de mentionner l’ambiguïté des Etats-Unis par rapport à l’UE. Ils ont été dès le début extrêmement favorables à la construction de l’UE – à l’époque la CEE -, parce qu’ils y voyaient un moyen d’établir une paix durable en Europe de l’Ouest dans le contexte de la Guerre Froide. Ensuite, ils voyaient en l’Europe un marché économique pour l’écoulement de leurs productions manufacturières.


Néanmoins, tout en étant favorables à la Communauté Européenne, les Etats-Unis ont toujours essayé d’empêcher l’émergence d’une Europe politique. Pour preuve, depuis l’adhésion du Royaume-Uni à la Communauté Economique Européenne en 1973, tout a été mis en place pour freiner l’établissement d’une Europe fédérale, et le special relationship du Royaume-Uni aux Etats-Unis n’est un secret pour personne.


Autrement dit, les Etats-Unis voudraient maintenant que l’UE se dote de structures politiques plus fortes, alors qu’ils ont longtemps fait le nécessaire pour l’en empêcher.


Le regard des Américains sur l’intégration européenne a donc changé ?

C’est un regard bienveillant, dans le sens où ils ont été globalement favorables aux élargissements de l’UE, à la fois celui de 2004 et 2007. Ces élargissements ont toutefois augmenté l’hétérogénéité de l’UE et de la zone euro, puisque la Slovénie, la Slovaquie et l’Estonie, tous d’anciens pays de l’Est, sont devenus membres de la zone Euro. Or, plus l’hétérogénéité est grande dans un espace politique, plus l’exercice de gouvernance est difficile. Pour exemple, la Slovaquie a bloqué le plan de sauvetage de l’Euro.


Chez les Américains, il y a donc une contradiction entre soutenir les élargissements de l’UE, et déplorer le manque d’homogénéité.


Une nouvelle étape de la construction européenne pourrait être franchie pour mettre fin à la crise. Une Europe fédérale ferait-elle peur aux Américains ?

Ce qui est sûr, c’est que chaque crise de la construction et de l’intégration communautaire se traduit par deux types de discours.


Le premier, la construction européenne est une erreur, la crise le prouve, il faut donc en sortir. Le second, les difficultés traversées par l’Europe s’expliquent parce que l’on n’est pas allé assez loin dans la construction et l’intégration européenne. Il faut donc aller encore plus loin, faire de nouveau transferts de compétences.


Ceux qui défendent l’idée que plus de transferts de souveraineté se traduirait par un mieux en matière de gouvernance, doivent encore en faire la preuve. Les résultats sont-ils à la hauteur des promesses ? Il ne peut y avoir de solutions simples à un problème complexe.


Quant aux Etats-Unis, ils veulent préserver avant tout leurs intérêts. S’ils pensent actuellement que leurs intérêts sont mis en danger par la zone Euro qui constitue un énorme marché pour eux, ils n’hésiteront pas à jouer du discours pro intégration européenne. Toutefois, comme ils l’ont fait par le passé, notamment en 2003, ils n’hésiteront pas à monter les Européens les uns contre les autres quand l’envie leur prendra.


Ce discours contradictoire n’est-il pas révélateur d’une peur américaine à l’égard de l’intégration européenne ?

Les pays n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Les Etats-Unis n’ont pas de dette morale à l’égard de l’UE, ils souhaitent simplement que cette zone géographique ne soit pas une nouvelle source de problèmes, or c’est précisément ce qu’elle est à l’heure actuelle.


Sur le plan géopolitique, les Etats-Unis ont tout fait pour que l’UE ne se dote pas d’une force de défense, de façon à ce que l’OTAN gère l’essentiel du volet européen de la défense, soit les États-Unis qui tiennent fermement les rênes de l’OTAN.


En définitive, les Etats-Unis veulent de l’UE en tant que marché économique pacifié, mais pas comme puissance politique. Les Etats-Unis n’ont pas peur de l’UE, ils ont peur des déstabilisations sur les marchés, produites par un manque de coordination des positions européennes.Une UE faible, dans un sens, leur convient très bien.

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