ANALYSES

Le temps des « loups solitaires »

Presse
28 octobre 2011

Si cet article avait été écrit peu avant le 11 septembre 2001, il n’aurait sans doute pas négligé Al-Qaida, dont la montée en puissance préoccupait déjà les spécialistes. Mais il aurait évoqué de nombreux autres terrorismes : IRA irlandaise, ETA basque, FLNC corse, Hamas, Hezbollah, sectes apocalyptiques, attentats d’extrême droite dans la lignée de celui d’Oklahoma City, ou d’extrême gauche, aux marges de l’altermondialisme, terrorisme manipulé par des services secrets, zones grises de la mondialisation financière, groupes armés oscillant entre guérilla et crime organisé. Il y aurait eu, certainement, une ligne sur l’Armée de libération du Seigneur (LRA), déjà connue en Ouganda…


Aujourd’hui, comme avant le 11 septembre 2001, la probabilité d’être victime d’un attentat reste quasi nulle pour un Européen ou un Américain, sur les territoires de leurs pays, mais cela ne doit pas nous conduire à négliger le fait qu’il reste encore l’arme potentielle de toutes les causes perdues, en concurrence avec la négociation, l’action politique classique, la guérilla, la propagande…


Aussi, pour échapper au dilemme : « Plus rien ne sera comme avant » versus « Rien de nouveau sous le soleil », risquons quatre pronostics. Premièrement, le combat terroriste ne sera plus dirigé par une organisation centrale. Il se développera à la périphérie du monde occidental et sous une forme hybride. Nous entendons par là que les groupes locaux auront d’autres activités, plus proches de celles d’une bande criminelle. L’exemple d’Aqmi, qui n’a plus que des liens formels avec la structure centrale d’Al-Qaida, est assez représentatif. Jusqu’à présent, incapables de frapper chez eux « le Juif » ou « le Croisé » chrétien, les héritiers de l’ancien Groupe salafiste de prédication et de combat algérien, transfrontaliers par excellence (entre l’Algérie, le Mali, le Niger, la Mauritanie et le Sénégal), pratiquent aussi bien l’attentat-suicide que les trafics en tous genres. Leur pouvoir de perturbation reste régional, sur toute la zone sahélienne, pour le moment.


Deuxième prévision : les attentats qui réussiront seront sanglants, du fait du recours de plus en plus banal à l’attentat-suicide, avec véhicule, mais aussi à cause du « progrès » de l’armement (demain, peut-être, à partir des arsenaux pillés de Kadhafi). Ainsi, le nombre d’attentats faisant plus de 100 victimes – hors 11 septembre 2001 – a augmenté au cours de la dernière décennie et une explosion « à une décimale », comme pour les 70 morts de Mogadiscio, le 4 octobre dernier (attentat-suicide au camion piégé contre un complexe ministériel revendiqué par les islamistes chebabs), ne frappe plus la planète de stupeur.


Troisième conviction : de petits groupes ou même des acteurs individuels (dits homegrown terrorists, soit « terroristes intérieurs ») proliféreront, pour la simple raison que le nombre de candidats « auto-radicalisés » par la propagande véhiculée via Internet s’accroît et que ces « loups solitaires » sont par définition peu repérables.


Notre dernier pari est que, heureusement, nombre d’attentats échoueront, au moins dans les pays développés. Statistiquement, la fin la plus probable pour un terroriste, sous nos latitudes, est d’être arrêté par la police et le faible niveau technique des solitaires fait qu’ils échouent souvent ou sont pris avant la première tentative. Ainsi, sur 188 « loups solitaires » pris aux États-Unis, depuis 2001,15 seulement avaient réussi à entamer une action. Et, hormis le tueur de Fort Hood (Texas), le major Malik Nadal Hasan, qui tua 13 militaires, le 5 novembre 2009, aucun autre terroriste n’a réussi à tuer des Américains sur leur territoire au cours de ces dix dernières années.


Par cette conclusion plutôt optimiste, je prends le risque du ridicule, voire de l’odieux, si demain un djihadiste réussit seul un « exploit » comparable à celui de l’anti-islamiste norvégien Anders Behring Breivik, qui a assassiné 77 personnes le 22 juillet, ou si le grand attentat biologique ou chimique prévisible depuis vingt ans se produit. Car, en matière de sécurité, le pire ne doit jamais être exclu.

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