ANALYSES

Pourquoi l’Italie est au centre du cyclone

Presse
31 octobre 2011
Par [Fabio Liberti->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=liberti], directeur de recherche à l’IRIS

L’image est passée en  boucle dans les médias  italiens. La scène se déroule lors de la conférence de presse commune d’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy à l’issue du Conseil européen du 23 octobre. À la question d’un journaliste sur la confiance qu’ils accordaient à Silvio Berlusconi, la moue complice des deux leaders a suffi à illustrer le peu de crédit dont jouit le président du Conseil italien auprès de ses homologues européens. Évidemment, l’indignation transalpine fut grande à la suite d’un tel affront. Mais cette mimique franco-allemande illustre bien le peu d’estime dont jouit l’Italie sur la scène internationale, après une décennie de « berlusconisme ».


Si les frasques et facéties du président du Conseil italien ont longtemps amusé la presse mondiale, elles effraient aujourd’hui des marchés financiers déchaînés qui ont l’euro en ligne de mire. Avec une dette publique de I 900 milliards d’euros, on sait que si l’Italie se retrouvait  dans l’impossibilité de refinancer sa dette, son système bancaire s’effondrerait, et celui de la France dans la foulée, provoquant un nouveau « crédit crunch » qui plongerait en récession l’économie mondiale. C’est pour éviter ce scénario cauchemardesque que deux Conseils européens extraordinaires se sont tenus à trois jours d’intervalle. Lors de ces rencontres, l’Italie a été quasiment placée sous tutelle, M. Berlusconi devant s’engager solennellement à prendre des mesures crédibles aux yeux des marchés financiers pour relancer la croissance économique.


C’est dans ce contexte qu’est née  la lettre d’intention présentée par le premier ministre italien, contenant des mesures à mettre en œuvre dans les huit prochains mois. Celles-ci vont de la libéralisation des ordres professionnels à une modification de l’âge de départ à la retraite (67 ans), en passant par une flexibilisation radicale du marché du travail public et privé, des fonctionnaires pouvant être changés unilatéralement de service voire de lieu d’affectation, tandis que les salariés du privé peuvent désormais être licenciés contre indemnisation mais sans motif économique. Aujourd’hui, le pays est mis à l’index tout en ayant des fondamentaux plus solides que des nombreux pays membres de l’UE. L’Italie est solvable (le patrimoine public et privé représentant entre trois et quatre fois le montant de la dette publique), son système bancaire sain (les dettes « toxiques » étant essentiellement détenues par des établissements français et allemands) et son déficit sous contrôle (3,7 % en 2011 contre 6 % pour la France ; de 2012 à 2014, presque 150 milliards d’euros seront économisés par l’État suite aux mesures d’austérité votées en 2011).


De fait, la crise de confiance qui frappe l’Italie, et par ricochet la zone euro, n’est pas due à des raisons économiques, mais politiques. M. Berlusconi a gagné à trois reprises les élections, disposant (notamment entre 2001 et 2006, puis 2008 et 2010) de majorités vastes, sans avoir réformé le pays. Va-t-il mettre en œuvre des mesures socialement et politiquement très difficiles à accepter pour l’opinion publique qui, de surcroît, a l’impression qu’elles ont été dictées par « l’étranger » ? Nous pouvons en douter. Le gouvernement Berlusconi, déjà affaibli par la défection de Gianfranco Fini en 2010, ne tient plus que grâce au soutien de la Ligue du Nord, parti ouvertement xénophobe et antieuropéen.


Alors que les élections approchent et que M. Berlusconi dégringole dans les sondages, la Ligue voudra se démarquer de la faillite de l’encombrant allié et n’a aucun intérêt à soutenir des réformes aussi draconiennes et impopulaires. Dans une République parlementaire comme l’Italie, où l’essentiel du pouvoir réside chez des députés (dont une majorité d’avocats et notaires a déjà fait connaître son opposition à la libéralisation des ordres professionnels), naturellement soucieux de leur réélection, une situation de blocage de toute réforme est probable.


Si l’euro se retrouve au bord du gouffre, la faute n’en revient certainement pas qu’au seul Silvio Berlusconi. Les marchés attaquent l’euro car ils savent que la réponse européenne est structurellement lente, toute négociation se faisant à 27. Ils savent aussi que la mise en place d’un système de fédéralisme budgétaire, logique conséquence des décisions prises depuis 2009, prendra du temps et que le soutien des opinions publiques n’est pas acquis. L’Italie est dans l’œil du cyclone, pas à son origine.


Depuis longtemps déjà, Mme Merkel et M. Sarkozy ont marginalisé l’Italie dans la prise de décision européenne. Les atermoiements de la chancelière allemande, liés à des considérations de politique intérieure, au sujet de la Grèce, ont sans nul doute joué un rôle majeur Mais aujourd’hui, si l’Italie et l’euro veulent sortir de cette impasse, un changement et rajeunissement radical des élites dirigeantes italiennes semblent une partie importante de la solution pour rassurer les marchés et mettre en place un gouvernement crédible dans son action réformatrice ne suscitant plus l’hilarité lors d’une conférence de presse.

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