ANALYSES

« Le Sénégal a toujours préféré le choix des urnes au poids des armes »

Presse
7 février 2012
Philippe Hugon - Le Figaro
Peut-on craindre une montée de la violence au Sénégal ?

Dirigées contre le président Abdoulaye Wade, les manifestations du Mouvement du 23 juin (M23) regroupant la société civile et les partis d’opposition ont fait plusieurs morts. Il faut être prudent quant à l’évolution d’un mouvement des rues. II peut y avoir débordement à la suite de « bavures » des forces, ou provocations des mouvements extrémistes. Plus vraisemblablement, ce mouvement peut s’épuiser avant les élections prévues le 26 février.  Le Sénégal a une vraie tradition démocratique et a toujours préféré le choix des urnes au poids des armes. Les mouvements de contestation des rues ou les mouvements étudiants sont fréquents, comme ils le sont dans les démocraties occidentales. Les leaders de l’opposition considèrent que ce sont les urnes qui doivent décider.


Le bilan économique du président Wade n’est pas mauvais en termes de croissance, de maîtrise de l’inflation, d’équilibres financiers, de progrès, de scolarisation ou de santé. Le Sénégal a diversifié ses partenaires économiques. Mais « Gorgui », le vieux en wolof (plus de 85 ans), a perdu considérablement de sa légitimité en briguant un troisième mandat à la candidature suprême. Les manifestants n’ont pas supporté qu’il ait modifié la Constitution afin de se représenter. La question de la Casamance n’a pu avancer. II y a eu atteinte à l’indépendance de la justice. Des formes mégalomaniaques sont apparues à travers la mise en place à Dakar d’une statue à l’effigie de Wade par exemple.


Quelle est l’alternative face au président Wade, l’opposition ne semblant pas très structurée ?

Le Mouvement du 23 juin (M23) n’apparaît pas comme un mouvement uni porteur d’une solution alternative. Les deux candidats les plus crédibles Moustapha Niasse, qui a fondé son propre mouvement, et Ousmane Tanor Dieng, du Parti socialiste, briguent tous les deux l’héritage de Senghor. Plusieurs anciens membres libéraux du gouvernement de Wade sont candidats (Idrissa Seck, Macky Sall, Cheikh Tidiane Gallo). C’est en milieu urbain et notamment à Dakar que les candidats de l’opposition auront largement la majorité. Il est exclu, par contre, que s’instaure comme au Gabon ou au Togo un régime héréditaire. Le fils d’Abdoulaye Wade, Karim, a été battu lors des élections à Dakar. S il y avait dérapage et si le verdict des urnes n’était pas accepté, selon toute vraisemblance l’armée républicaine deviendrait le maître du jeu.


Le Sénégal court-il un risque de scénario de crise à l’ivoirienne ?

La crise ivoirienne a duré une dizaine d’années. Elle divisait largement un Nord et un Sud. Elle a été renforcée par le refus de Laurent Gbagbo de reconnaître le verdict des urnes. La crise sénégalaise ne répond pas à cette même logique, elle est actuellement préélectorale. Le seul point de proximité est la faible indépendance du Conseil constitutionnel. Il y aurait évidemment un plus grand risque de scénario à l’ivoirienne au cas où le verdict des urnes ne serait pas respecté.


Peut-on redouter l’ascension d’un islamisme radical ? Qu’attendre des mourides ?

La tradition de l’islam sénégalais est celui d’un islam tolérant et plutôt syncrétique avec le rôle dominant de la confrérie mouride composée de sunnites. Cette confrérie, à laquelle le président Wade est très lié, est présente dans le champ économique, social et politique. Les pays arabes, à commencer par l’Arabie Saoudite, sont très présents par le financement de mosquées, de medersa ou d’écoles coraniques. Il importe de prendre en compte la séduction de mouvements plus radicaux pour des jeunes sans perspectives d’emploi. L’environnement du Sénégal est instable. La Gambie et la Guinée-Bissau soutiennent les mouvements indépendantistes de Casamance. Des courants radicaux se développent au nord dans la zone saharo-sahélienne (Boko Haram, AQMI). Le chiisme, appuyé par l’Iran et les Libanais, connaît un certain succès face aux confréries mourides. On estime le nombre de chiites à environ 200.000.


Après le printemps arabe, peut-on envisager un printemps sénégalais ?

II y a évidemment des proximités géographiques et des contagions possibles. Le Sahara n’est pas une frontière, mais une passerelle entre l’Afrique septentrionale et l’Afrique de l’Ouest. Les informations sont proches. Les revendications contre des pouvoirs gérontocratiques, permettant aux jeunes de trouver une place dans la société, sont les mêmes. Les jeunes étudiants sont inquiets quant à l’avenir. Informés des mouvements du printemps arabe, ils voudraient que la place de l’Obélisque de Dakar ait la même signification que celle de la place Tahrir. Il importe toutefois de rappeler les histoires spécifiques des sociétés


La France et les Nations unies ont fait valoir leur inquiétude face à l’accès de violence. Quel peut être le rôle de la communauté internationale ?

L’Union africaine pourrait également faire entendre sa voix mais elle est très divisée. La communauté internationale ne peut aller au-delà sous peine d’ingérence. En revanche, il serait souhaitable que des amis du président Wade lui fassent comprendre que son image dans l’histoire sera plus forte s’il poursuit la tradition sénégalaise de transparence des élections et d’acceptation de l’alternance.

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