ANALYSES

Seul un axe Paris-Rome peut faire bouger Angela Merkel

Presse
23 mai 2012
Par [Fabio Liberti->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=liberti], chercheur à l'IRIS

François Hollande est appelé à jouer un rôle clé pour éviter une dislocation de la zone euro. Pour arriver à un heureux dénouement de la crise, François Hollande a besoin de trois choses : abandonner sa volonté de renégocier le pacte fiscal européen (TSCG), tisser une alliance politique avec Mario Monti, lancer des propositions pour la croissance et l’équité sociale plus ambitieuses.


La situation européenne est dramatique. Rien ne semble pouvoir arrêter la crise de la dette, publique comme privée, entre les convulsions politiques en Grèce et la découverte de l’ampleur des problèmes du secteur bancaire. Les banques européennes des pays en difficulté ont utilisé la liquidité de la BCE pour racheter de la dette souveraine. Si cela a temporairement soulagé le marché des titres d’Etat, l’effet collatéral a été de lier encore plus le destin des Etats à celui de leurs banques. Le secteur bancaire espagnol, qui prêtait à tour de bras, finançant une bulle spéculative dans l’immobilier, affiche 184 milliards d’euros de créances douteuses dans le seul secteur immobilier. Gorger ces banques de titres d’Etat espagnol alors que l’Etat même est très fragile équivaut à rendre encore plus méfiants les investisseurs sur tout ce qui est espagnol. Entre temps partout en Europe on cherche à corriger des déficits, certes aggravés par le ralentissement économique, mais crées par des années de mauvaise gestion. Ainsi l’austérité généralisée créée du chômage, provoque des faillites. Des vagues de suicides sont signalées en Europe du Sud, alors que l’angoisse envahit des millions de personnes, incapables de survivre dignement, perdant confiance en leurs capacités. Pourtant ce n’est pas en refusant le TSCG que la zone euro survivra. D’une part cela est inacceptable pour l’Allemagne, premier bailleur de fonds. De plus, c’est inefficace, la plupart des règles du traité étant déjà effective depuis décembre 2011 et le vote de la règlementation européenne "six-pack".


Cependant, poursuivre aveuglement l’austérité, ou bien continuer d’injecter de l’argent public dans des établissements bancaires, serait socialement et politiquement suicidaire. La problématique bancaire date de 2007, et rien n’a changé. Injecter du capital directement dans le secteur bancaire comme le proposent certains permettrait d’arrêter la suspicion, de faire repartir le crédit sur des bases saines et, par conséquent, l’économie. Mais suivre cette voie serait politiquement suicidaire pour l’UE. Il faudrait ainsi expliquer aux contribuables pourquoi nous continuons de verser des centaines de milliards pour sauver des banques tandis que quelques milliards qui pourraient éviter l’extrême pauvreté à des millions de personnes ne sont jamais trouvés dans les plis de la dépense publique.


Le président François Hollande fait le pari d’une relance de l’économie par des investissements. Mais les 4 points du mémorandum ne créeront ni assez, ni assez rapidement de la croissance. D’autre part la conception de "croissance" n’est pas la même à Paris, ou à Rome, Berlin, Londres où cela veut plutôt dire libéralisation du marché du travail et de celui des services.


C’est pour cela qu’il faut agir différemment. Angela Merkel et Mario Monti négocient une ratification simultanée du TSCG. Ceci pourrait en partie isoler François Hollande sur la scène européenne alors que la France et l’Italie partagent le même intérêt en ce moment (tout comme l’Espagne d’ailleurs). François Hollande devrait soutenir la proposition de Mario Monti qui est celle de calculer les déficits différemment. Le TSCG parle de déficit structurel qui doit être limité à 0,5% du PIB. Mais des investissements d’avenir générant de la croissance ne peuvent être considérés comme des cadeaux fiscaux au titre du déficit structurel. Si une telle proposition s’imposait, on gagnerait une marge de manœuvre considérable.


De plus, l’Allemagne bénéficie aujourd’hui de taux d’intérêt en dessous de l’inflation et proches de zéro grâce à la crise, après avoir été le premier bénéficiaire du marché commun. Cette distorsion doit être corrigée par la mutualisation d’une partie de la dette des Etats membres, la transférant au niveau européen. Cela serait bien plus acceptable par Berlin qu’une politique inflationniste pour la BCE, véritable tabou psychologique pour Berlin. De plus créer de l’inflation, toucherait les populations les moins aisées. Une fois réglée la question des dettes publiques, il faudrait nettoyer les bilans du secteur bancaire. Le Mécanisme européen de solidarité (MES) pourrait bien devoir être utilisé pour recapitaliser les banques.


Mais au lieu de prêter aux banques, l’UE devrait leur imposer l’abandon des intérêts sur les créances douteuses des citoyens ou petites entreprises ayant perdu un emploi ou étant au bord de la faillite. Le MES pourrait garantir le capital, et rééchelonner les paiements des citoyens en difficulté. Cela nettoierait les bilans des banques, et donnerait une bouffée d’oxygène aux plus démunis. Pour une fois, donner l’image d’une UE qui aide les citoyens plutôt que les banques. Les symboles comptent en politique, François Hollande le sait bien.

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