ANALYSES

Les négociations sur le nucléaire iranien : ne pas reproduire les erreurs du passé

Presse
6 juin 2012
Thierry Coville - Le Monde.fr

Les négociations entre l’Iran et les 5 + 1 se sont poursuivies à Bagdad le 23 mai. Une nouvelle réunion est prévue le 18 juin 2012 à Moscou. Or, il faut, du côté occidental, éviter de reproduire un certain nombre d’erreurs passées dans ces négociations.


Il faut arrêter de toujours soupçonner l’Iran de vouloir négocier pour gagner du temps. C’est possible mais qu’en sait-on véritablement ? A force de baser les stratégies de négociations occidentales sur ce que seraient les intentions iraniennes, les discussions ont été orientées dès le début sur des présupposés (l’Iran veut la bombe, etc.) qui ont conduit à un raidissement de la partie iranienne et des échecs successifs.


En Iran, la volonté de négocier est maintenant claire. Les partisans des sanctions diront que c’est l’impact des sanctions économiques qui explique cette situation. Or, c’est plutôt une alliance du Guide et des conservateurs modérés dirigés par le chef du Parlement, Ali Laridjani, qui a mené une guérilla incessante contreMahmoud Ahmadinejad, ce qui a conduit à une très nette diminution de son influence. Par ailleurs, on peut noter qu’un certain nombre de dirigeants iraniens ne sont pas dérangés par ces sanctions car elles radicalisent la situation diplomatique et permettent de trouver un coupable, l’Occident. On est donc à un moment clé et il ne faut pas, du côté occidental, laisser passer l’occasion de vraiment négocier. Il ne faut pas oublier qu’un certain nombre de groupes en Iran (notamment ceux liés au Ansar-e Hezbollah) pensent qu’il n’y a rien à attendre de négociations et seront trop heureux de reprendre la main en cas d’échec.


L’Iran veut des contreparties rapides à sa bonne volonté sous la forme d’une levée des sanctions. L’Union européenne pourrait ici jouer un rôle décisif. Autant les sanctions onusiennes ou américaines impliqueraient pour être éliminées un processus législatif assez lourd, autant l’Europe pourrait assez facilement annulerun certain nombre de sanctions, notamment le fait qu’un certain nombre de banques refusent de travailler avec l’Iran sous pression américaine.


L’argument qui consiste à dire que la levée de ces sanctions ne ferait que récompenser la volonté de perdre du temps des Iraniens ou légitimerait l’enrichissement de l’uranium par l’Iran ne tient pas si l’objectif est d’obtenir des avancées concrètes. L’UE s’honorerait d’un tel geste, qui mettrait l’Iran dans l’obligation d’y répondre.


L’Iran veut aborder d’autres thèmes lors de ces négociations comme la dénucléarisation au Moyen-Orient ou la lutte contre le piratage de Somalie. Ces demandes viennent d’une volonté d’apparaitre comme la puissance régionale et d’être pris au sérieux par les autres puissances. Les diplomates occidentaux devraient saisir cette occasion parce que c’est une manière de rétablir la confiance. En outre, tout le monde sait que sur un certain nombre de dossiers régionaux (Syrie, Irak, lutte contre Al-Qaïda, etc.), il existe des intérêts communs entre l’Iran et les pays occidentaux et qu’un début de discussion au sujet de ces dossiers pourrait déjà être utile. Alors, pourquoi s’en priver ?


Enfin, il faut avoir à l’esprit l’impact stratégique de ces négociations. Ces dernières signifient si elles vont au bout que les relations entre l’Iran et les Etats-Unis vontchanger. Les pays, qui comme l’Arabie Saoudite, ont tiré leur légitimité sur la scène internationale d’être le pays raisonnable face à un Iran "inquiétant" le savent bien. Ces négociations si elles se déroulent bien changeront également les relations entre l’Iran et Israël. La lutte entre ces deux pays reviendra plutôt celle du leadership régional et la question de l’accès de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique au programme nucléaire israélien sera clairement posée. Attention, ceci ne veut évidemment pas dire que les tensions entre Israël et l’Iran vont s’effacercomme par magie tant l’inquiétude israélienne est grande face aux menaces iraniennes et l’antisionisme Iranien reste encore très fort dans la pensée des stratégistes de Téhéran.


Néanmoins, pourquoi ne pas oser prédiction plutôt optimiste ? Une solution de la crise nucléaire devrait améliorer les relations US-Iran, et par défaut diminuer les tensions entre l’Iran et Israël, bien qu’on ne doive ne pas s’attendre à une normalisation. Et l’Europe dans tout ça ? Quel est l’objectif réal de la politique iranienne de l’UE ? Sommes-nous ici un simple supplétif de nos alliés américains, présents là pour les aider à résoudre ce problème du nucléaire iranien ou avons-nous nous nous aussi des dossiers en matière d’énergie, de stabilité régionale, de lutte contre la drogue, etc. que nous voudrions faire avancer dans nos relations avec l’Iran ? Aucune réponse officielle n’existe à ces questions qui sont pourtant essentielles au moment où l’Europe traverse une étape décisive de son histoire.

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