ANALYSES

Pourquoi l’Allemagne doit gagner l’Euro 2012 (de foot) pour sauver l’euro (la monnaie)

Presse
11 juin 2012
Tribune de [Fabio Liberti->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=liberti], directeur de recherche à l’IRIS
Le contribuable allemand en a marre ! Depuis 2010, on lui demande d’aider ces fainéants de Grecs, qui n’arrivent décidément pas à payer leurs impôts, comme l’a si bien dit la directrice du FMI, Christine Lagarde.

Ensuite, ce fut le tour des Irlandais – déjà qu’ils demandent un référendum à chaque traité européen et qu’ils doivent toujours voter deux fois pour donner la bonne réponse… –, dont les banques ont fait n’importe quoi.

Puis, ça a été les Portugais. Et voilà que, maintenant, on s’inquiète du sort des Espagnols et des Italiens (qui truquent les matchs). Alors que l’Allemagne était en train de remettre de l’ordre, en imposant des règles et de la discipline en Europe, voici que la France retrouve son âme frondeuse d’Astérix, en élisant François Hollande et en s’opposant aux règles édictées par Merkel !

 
Des pays qui n’aiment pas les règles

 

Tous ces pays ont en commun, selon le contribuable allemand, une allergie aux règles, une tendance à la dépense sans compter, une passion inouïe pour le football. L’arrivée des Qataris à la tête du PSG n’arrange rien et la victoire de Chelsea (suite aux investissements de Roman Abramovic s’élevant à un milliard d’euros pour ses joueurs) contre le Bayern Munich, fidèle au "fair play financier", non plus.

L’Allemand moyen attend donc le championnat d’Europe de football pour prendre sa revanche et montrer à tous qui commande en Europe. La rage du contribuable allemand s’est encore accentuée ce week-end lorsqu’il a découvert qu’il avait financé les rachats de Cristiano Ronaldo (CR7) et Kakà !

En effet, Bankia, le quatrième établissement bancaire espagnol, qui a affiché 23 milliards d’euros de pertes début mai 2012, est la même banque qui avait prêté de l’argent au Real pour… les transferts de Cristiano Ronaldo et Kakà (pour un total de 76 millions d’euros, le Real affichant une dette de 590 millions d’euros).

De la même manière, Caixa et Santander ont octroyé 155 millions d’euros au Barça il y a quelques mois, avant de refuser un nouveau prêt de 100 millions d’euros pour financer le mercato catalan. Pour des banques au bord de la faillite, le procédé est cocasse. Le Real et le Barça sont souvent pointés du doigt comme des clubs gagnant à crédit. Là où ça se corse pour le contribuable allemand (le pauvre…), c’est lorsqu’il découvre qu’il a payé deux fois pour le transfert de Cristiano Ronaldo !

En effet, le samedi 9 juin 2012, la zone euro a accepté d’octroyer jusqu’à 100 milliards d’euros aux banques espagnoles ayant prêté sans compter ! Mais il faut aussi savoir que ces mêmes banquesont déjà obtenu de la liquidité de la Banque centrale européenne (BCE) afin de leur éviter la faillite. La BCE n’ayant pas le droit de prêter sans contreparties, les banques espagnoles ont été priées d’apporter des gages, même de moindre qualité…

 
Ronaldo, un pion de la crise espagnole

 

Bankia a ainsi apporté en gage des prêts octroyés à des clients solvables. Ceux-ci devant la rembourser, Bankia apporte ces crédits comme une garantie. Parmi les prêts émis par Bankia, on retrouve ceux accordés au Real (considéré comme une entreprise solvable grâce à son imposant cortège de supporteurs) pour CR7 et Kakà !

Du coup, CR7, sans le savoir, est devenu un pion de la crise de la dette espagnole, un gage donné à Francfort pour garantir le paiement de la dette. On imagine déjà les négociations houleuses entre Mariano Rajoy et Angela Merkel, demandant le transfert de joueurs du Barça ou du Real vers la Mannschaft et souhaitant aligner CR7 dans le match de poule contre le Portugal.

Les Espagnols, quant à eux, pointent du doigt la sublime esthétique du tiki-taka du Barça et de la Roja et espèrent que l’équipe d’Espagne montrera encore une fois sa supériorité, donnant au moins une victoire sportive au peuple espagnol, déprimé par la crise. L’argent est finalement une question secondaire. Après tout, on ne demandait pas aux mécènes italiens de la Renaissance qui nous on légué des chefs-d’œuvre de respecter le pacte budgétaire, si ?

 
Ce sont donc bien deux philosophies qui s’opposent

 

"Panem et circenses", du pain et des jeux pour des citoyens heureux, disaient les Romains. Avec la crise de la dette et l’augmentation du chômage, le panem commence à se tarir. Va-t-on éliminer aussi les jeux ?

Les Espagnols vont-ils être condamnés à voir le Barça, le Real et donc la Roja rentrer dans les rangs ? Des fonctionnaires européens vont-ils obliger les banques espagnoles à fermer les robinets de liquidité et à interdire le mercato pour le Real et le Barça ? Benzema va-t-il devoir faire grève pour percevoir son salaire ?

Le football n’est pas forcément une question de logique. Le Barça aura toujours une image plus sexy que le Bayern Munich, et la movida sera toujours plus alléchante que la rigueur germanique. C’est bien le soft power qui manque à l’Allemagne pour dominer l’Europe et pour attirer les meilleurs joueurs des quatre coins de la planète.

Cela dit, si la rigueur allemande devait l’emporter sur le terrain, on pourra toujours se consoler en se disant qu’une victoire à l’Euro (de foot) pourrait détendre les Allemands et leur faire lâcher du lest dans leurs mesures pour sauver l’euro (la monnaie). L’euro (la monnaie) risque de mourir ! Vive l’Euro (de foot) !
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