ANALYSES

«La Ligue arabe n’est pas homogène»

Presse
24 juillet 2012
Didier Billion - Arte Journal
Hier, la Ligue arabe a proposé à Bachar al-Assad une sortie "sûre", s’il quittait le pouvoir. Cela peut-il avoir un impact sur le dirigeant syrien ?

Non, je ne crois pas parce que depuis déjà de nombreux mois, presqu’une année, la Ligue des Etats arabes, en l’occurrence menée par l’Arabie Saoudite et le Qatar, ne cesse de menacer, de faire pression et de faire des promesses à Bachar al-Assad si celui-ci soit démocratise son régime, soit – nous sommes dans cette nouvelle séquence – s’en va de son propre pays. Systématiquement, le régime syrien a répondu assez fermement et aussi par le mépris par rapport à ces propositions de la Ligue des Etats arabes. Donc je ne pense pas qu’aujourd’hui, cette Ligue des Etats arabes soit en situation de faire quelque pression que ce soit sur le régime syrien. S’il y a une puissance extérieure qui peut faire pression effective, réelle et positive sur le régime, c’est probablement seulement la Russie, éventuellement dans une autre mesure, Kofi Annan. Mais je ne crois vraiment pas que la Ligue des Etats arabes soit en situation d’influer un hypothétique départ de Bachar al-Assad."


Quelle est la faiblesse intrinsèque de la Ligue arabe ?

Si l’on raisonne d’un point de vue global, il est assez paradoxal, voire croustillant – si tant est que la situation dramatique puisse nous permettre de faire un peu d’humour – que des Etats comme le Qatar et l’Arabie Saoudite se permettent des leçons de démocratie à un pays comme la Syrie, qui mérite effectivement une réelle démocratisation, mais c’est assez paradoxal parce qu’on sait très bien que ni le Qatar, ni l’Arabie Saoudite ne sont des parangons de vertu démocratique. Donc il est quand même assez cocasse de constater que ces Etats n’hésitent pas à faire des leçons aux autres. C’est la première chose. La deuxième, qu’il ne faut pas sous-estimer, c’est qu’on nous présente toujours la Ligue des Etats arabes comme une entité relativement homogène, ce qui n’est pas le cas. Sur le dossier syrien, puisque tel est l’objet de l’entretien, il y a des divergences. On sait très bien que des Etats comme l’Irak, comme l’Algérie, comme le Yémen éventuellement, ne sont pas du tout en pointe dans la critique du régime syrien et que si, comme on l’évoquait précédemment, Qatar et Arabie Saoudite font depuis le départ un travail de pression énorme sur le régime syrien, ce n’est pas le cas de tous les autres pays. De ce point de vue, le manque d’unité est assez préjudiciable à l’efficacité des menaces de la Ligue des Etats arabes. C’est un fait, c’est ainsi. Nous n’avons pas de leçon à donner aux autres. L’Union européenne, dans un autre cadre, n’est pas non plus très brillante en tant que telle dans la gestion de la crise syrienne, mais en tous cas, la Ligue des Etats arabes n’est pas en situation d’influer réellement le cours des événements en Syrie.


Le régime syrien a accusé plusieurs fois la Ligue arabe d’être à la solde de l’Occident. Est-ce exact ?

C’est plutôt de la rhétorique. On ne peut pas dire que cette Ligue, en tant que telle, soit à la solde de l’Occident, puisque je considère que cette Ligue des Etats arabes est très divisée. Certains Etats, je ne dirais pas qu’ils sont à la solde, mais sont très proches des grandes puissances occidentales. Je reviens aux deux exemples de l’Arabie Saoudite et du Qatar, dont on sait qu’ils sont de proches alliés, notamment, des Etats-Unis. En l’occurrence, ils marchent main dans la main sur ce dossier syrien avec les Etats-Unis et quelques autres puissances occidentales. Par contre, vous avez au sein de la Ligue des Etats arabes des Etats qui non seulement ne sont pas à la solde des puissances occidentales, mais qui sont même assez opposés ou du moins divergents. Là encore, on peut prendre l’exemple de l’Irak, de l’Algérie et de quelques autres. Donc les choses ne sont pas mécaniques et l’expression "à la solde de" ne me convient guère.


Avant le déclenchement de la crise syrienne, quelles relations entretenaient le clan Assad avec la Ligue arabe ?

Ca a toujours été des relations assez tendues parce que le régime syrien, pour ne pas trop remonter dans l’histoire, a toujours considéré que la Ligue des Etats arabes n’était pas suffisamment active en ce qui concerne le règlement du dossier israélo-palestinien. Evidemment ce sujet est extrêmement sensible pour le régime syrien : il l’a toujours été. Non pas tant que ce régime soit plus pro-palestinien que les autres Etats arabes mais parce qu’une partie du territoire syrien est occupé, annexé par l’Etat d’Israël. Il y a toujours eu ce contentieux. Le régime syrien a toujours suspecté – voire accusé – ses homologues de la Ligue des Etats arabes d’être trop conciliants avec l’Etat d’Israël, donc avec les Etats-Unis : c’est un aspect très important. Donc les relations n’ont jamais été très bonnes et puis évidemment, dans la dernière période, on peut imaginer facilement que le régime syrien n’est plus en situation d’avoir des relations fluidifiées, normalisées avec cette organisation des Etats arabes puisque les pressions se font telles qu’elles sont même désormais devenues des entités ennemies.


Donc dès le départ, la Ligue arabe partait plutôt en position de faiblesse dans la négociation ?

La Ligue des Etats arabes est jusqu’alors une chambre d’enregistrement. Ne croyons pas qu’elle ait pu influencer en réalité, en profondeur, quelque dossier que ce soit dans cette région, il est vrai assez troublée depuis plusieurs décennies. Il ne faut pas mythifier l’existence de cette Ligue des Etats arabes – ou tout du moins son efficacité, plus exactement. Mais ce qu’on peut constater c’est qu’à l’occasion de la crise syrienne il y a eu une évolution. Pour une fois, la Ligue des Etats arabes – en tous cas, la majorité de ses composantes – a voulu influencer le cours des choses, a pris un certain nombre de résolutions, de déclarations, de sanctions à l’égard de la Syrie et c’est une première fois dans l’histoire de cette Ligue des Etats arabes qu’elle a pris à bras le corps un dossier, avec évidemment les divisions et les restrictions que j’évoquais précédemment. Mais on ne peut pas dire qu’elle est partie en position de faiblesse. Traditionnellement, c’est une organisation, sur ce dossier comme sur quelques autres, qui ont traversé les grandes problématiques du Moyen-Orient au cours des dernières décennies : la Ligue des Etats arabes est plutôt une chambre d’enregistrement disais-je et un organisme à produire du communiqué mais peu d’action. Là, il y a un certain changement mais il ne va évidemment pas dans le sens des intérêts du régime syrien, c’est le moins qu’on puisse dire !

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