ANALYSES

La démocratie à l’épreuve des minorités

Presse
1 novembre 2012

Un entretien avec Olivier Guillard Directeur de recherches Asie à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et directeur de l’information de Crisis Consulting il est l’auteur de nombreux ouvrages dont «Birmanie 2020. De I’ état des lieux aux perspectives» (Iris/Dalloz, 2009)


Depuis deux ans, des conflits impliquant certaines ethnies birmanes ont nourri l’actualité. Quels sont les divers groupes qui composent le pays ?

Les Bamars, bouddhistes, représentent les deux tiers de la population. Historiquement, la classe dirigeante birmane en a toujours été issue. Le tiers restant se compose d’environ 130 minorités, regroupées en sept grands groupes ethniques, que les Birmans appellent «races nationales» : les Shans, les Arakanais (ou Rakhine), les Karens, les Mons, les Chins, les Karennis (ou Kayahs) et les Kachins. Ils se distinguent les uns des autres par leur démographie, leur culture, leur langue ou leur religion. Ces peuples, qui vivent plutôt en périphérie du pays, ont combattu contre les Japonais aux côtés des colons britanniques pendant la Seconde Guerre mon diale et n’ont cessé de revendiquer soit leur autonomie, soit leur indépendance


Aux yeux des Bamars, ce sont donc de «mauvais» Birmans des «pièces rapportées», des citoyens de seconde zone.


Par le passe, ces groupes ethniques ont tous développé une résistance armée contre le pouvoir central de Rangoun. Où en est-on aujourd’hui ?

Marginalisés, discrimines, voire persécutés par les militaires, ils réclament plus que jamais la reconnaissance de leur identité ainsi qu’une large autonomie sur leur territoire. Au printemps dernier, onze accords de cessez-le-feu sur la douzaine de guérillas actives ont été signés par le gouvernement. Un succès qui a ses limites : les Karens, à l’est restent méfiants, échaudés par les promesses d’autonomie non tenues depuis 1948, et n’entendent pas se démilitariser trop hâtivement. Côté Kachins au nord, la trêve est récente et fragile. Des affrontements avec l’armée ont même repris en juin 2011 après dix-sept ans sans affrontements, les Kachins reprochant au pouvoir de continuer à piller leurs ressources de jade et de teck sans jamais les en faire profiter. La puissante rebellion shan, elle, accuse l’armée de violer le cessez-le-feu. Et des combats ont eu lieu dans le district de Mongyawng au nord-est.


Un pouvoir plus démocratique permettra-t-il aux minorités de profiter des ressources dont regorgent leurs territoires ?

La meilleure répartition des richesses naturelles est au cœur du processus de réconciliation nationale. Son principe figure d’ailleurs dans les accords préliminaires signés au printemps qui sont encore en négociation entre le gouvernement et les rebelles. La pression internationale est très forte pour que ces ressources profitent aux Etats ethniques, particulièrement sous-développés alors qu’elles étaient jusqu’à présent cédées à bon prix à la Chine, l’Inde et la Thaïlande.


Quels sont les scénarios prévisibles pour l’avenir ?

Le gouvernement a tout intérêt à ce que le calme s’installe durablement dans ces territoires. Pour cela, les parlements régionaux peuvent jouer un grand rôle. Prévus par la Constitution de 1948, ils n’avaient en fait jamais fonctionné à cause des conflits qui ont commencé dès 1949. Depuis les élections de novembre 2010 et l’auto-dissolution de la junte en mars 2011, ces parlements ont repris une existence officielle. Y sont représentés les groupes ayant pris part au dernier scrutin, les Kachins, les Karens, les Karennis, les Mons, les Chins et les Shans. Mais cette représentation est trop récente pour avoir déjà un poids véritable et la Constitution de 2008 réserve toujours 25 % des sièges aux militaires. Le pays est en voie de démocratisation et tend vers un système fédéral, mais cela ne se fera pas sans heurts. La xénophobie des Bamars vis-à-vis des minorités ne disparaîtra pas du jour au lendemain.

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