ANALYSES

La droite sans gêne

Presse
5 novembre 2012
Béligh Nabli - Libération

Aussi spectaculaire soit-elle, la une de l’hebdomadaire le Point titrant sur «L’islam sans gêne» n’est pas la première du genre. Outre un sentiment de déjà-vu, ce choix éditorial s’inscrit dans l’air du temps. Un récent sondage Ifop pour le Figaro révèle qu’une majorité de Français trouve l’islam «trop visible» en France et qu’il constitue une «menace» pour l’identité du pays. Dès lors, Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur «de gauche», a beau jeu de ne pas s’offusquer de cette une «qui exprime une réalité». Certes, mais laquelle ?


L’alternance n’a pas marqué de véritable rupture avec l’obsession médiatico-politique sur l’islam et les musulmans, sur fond d’hystérisation permanente du débat public. Le deuil du «sarkozysme» n’est pas à l’ordre du jour. Loin s’en faut. Si Nicolas Sarkozy a quitté le pouvoir institutionnel, le sarkozysme continue d’habiter et d’imprégner la vie publique.


Les figures de la droite «populaire», «forte» et «décomplexée», se réclament de cette filiation, cultivent instinct de transgression et volonté de rupture avec une tradition républicaine et humaniste. La défaite de Nicolas Sarkozy n’a pas signé l’acte de décès de son projet de société fondé sur la division et la hiérarchisation des individus en fonction de leur «apparence», de leur revenu… Calquant son discours et sa stratégie sur ceux de l’ancien président de la République, l’actuel secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, assume cette filiation, quitte à se faire le chantre des vieilles antiennes lepénistes basées sur les figures imposées du «mal français» : les immigrés et les musulmans, vecteurs de la dilution de «notre civilisation». Cette dérive rhétorique et idéologique se traduit par une lecture ethnique de la société française, comme en témoignent les désormais célèbres affaires du «racisme anti-Blancs» et du «pain au chocolat». Or, les calculs électoraux liés à la compétition interne à l’UMP ne sauraient justifier les dérives inhérentes à cette pensée néoconservatrice qui met en péril la cohésion sociale et l’unité nationale.


Alors que l’aïdos (le scrupule, la retenue, la vergogne) est une vertu liée à l’art du politique selon Platon, la stratégie et le discours en vogue au sein de l’UMP semblent dépourvus de cette vertu républicaine qui devrait s’imposer à elle au regard du bilan de ces années d’exercice du pouvoir. Au contraire, toute analyse critique sur le mandat présidentiel et l’action gouvernementale du couple Sarkozy-Fillon (avec le soutien zélé du secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé) est proscrite.


Cet interdit politique a laissé place à une autosatisfaction béate et à une arrogance pour le moins troublantes compte tenu des chiffres du chômage (10%), de la croissance (nulle) et du déficit public (abyssal) qui font office de bilan de ce «quinquennat de crise» agrémenté d’une série historique de défaites électorales (locales, nationales et européennes) pour cette «droite forte». Le sarkozysme, c’est un malaise – et non un projet – civilisationnel, mais aussi une action en échec.


Cette droite qui se targue d’être «décomplexée» n’a pas saisi le sens et la fonction de l’opposition. Le problème n’est donc pas purement moral, mais démocratique. Outre sa fonction de représentation d’une minorité du corps électoral, la raison d’être de l’opposition parlementaire réside dans l’action de contrôler la majorité parlementaire-gouvernementale, de lui porter la contradiction et de proposer des solutions politiques alternatives. Or, cette «droite sans gêne» se complaît dans le langage outrancier et caricatural, se détournant allègrement de la critique argumentée. Cette stratégie d’hystérisation du débat public s’exprime jusqu’à l’hémicycle de l’Assemblée nationale où les députés de l’opposition offrent à chaque séance de questions au gouvernement un spectacle désolant qui nourrit l’antiparlementarisme et le sentiment de défiance de nos concitoyens à l’endroit de la classe politique. L’attitude sexiste et misogyne – exprimée par des huées et sifflets – de députés de droite à la vue de la robe d’été de la ministre du Logement, Cécile Duflot, reste dans toutes les mémoires (ou presque). Ces mêmes députés qui en appellent – la main sur le cœur – au respect de la liberté de la femme dès lors que le mot islam est prononcé…


Plus récemment, Gérard Longuet, sénateur UMP et ancien ministre de la Défense, a réagi à la demande de l’Algérie d’une « reconnaissance franche des crimes perpétrés par le colonialisme français » par un bras d’honneur aussi diplomatique que didactique.


Sans céder au moralisme indigné ou manichéen, les citoyens (y compris de droite) sont en droit d’exiger de l’opposition d’exercer pleinement et dignement sa fonction. La vie politique devrait s’attacher à une forme d’exemplarité formelle, intellectuelle et morale – désormais imposée aux footballeurs !


A défaut de saisir cette exigence démocratique, la droite «populaire», «forte» ou «décomplexée» est condamnée à incarner la «droite la plus bête du monde», selon la fameuse formule attribuée à Guy Mollet.