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Affaire Petraeus/CIA : aux Etats-Unis, l’adultère est une marque de faiblesse

Presse
12 novembre 2012
- Le + du Nouvel Obs

L’affaire est digne d’un James Bond. Vendredi 9 novembre, le directeur de la CIA, David Petraeus, a présenté sa démission à Barack Obama, en raison d’une liaison extra-conjugale découverte par le FBI. Affaire de mœurs ou sécurité nationale ? Une imbrication des deux, répond Thomas Snégaroff, directeur de recherche à l’Iris et spécialiste des États-Unis.


La démission du général Petraeus en raison d’une aventure extraconjugale est une affaire très importante aux États-Unis, qu’il ne faut pas minorer au prétexte qu’il s’agit "d’une histoire de coucherie". Le patron de la CIA, poste sensible s’il en est, est un des personnages les plus importants du pays.


Le général Petraeus, héros national

David Petraeus n’est en outre pas n’importe quel patron de la CIA : c’est un héros national. Il est l’un des militaires américains les plus connus et les plus décorés, a dirigé les forces de la Coalition en Irak – ce qui lui a valu d’être un héros de cette guerre aux États-Unis -, avant de prendre la tête des forces internationales en Afghanistan, remplaçant au pied levé le général McCrystal qui avait dû démissionner (déjà !) à la suite de critique sur l’administration Obama. Il a gravi les échelons tout au long de sa carrière et jouit d’une très bonne image dans l’opinion publique.


Outre-Atlantique, on compare souvent le général Petraeus à Eisenhower, la figure morale absolue. Un parallèle tellement fort que certains lui attribuaient même des ambitions présidentielles pour 2016, dans le camp républicain – comme le 34e président des États-Unis, le militaire n’était pas particulièrement marqué démocrate ou républicain, mais les opportunités politiques semblaient plus foisonnantes dans le second camp.


Seul l’assassinat de l’ambassadeur américain à Benghazi en septembre a quelque peu écorné son image – la CIA étant mise en cause pour n’avoir pas assez sécurisé le site, qui lui aurait par ailleurs servi de base pour une surveillance éventuelle d’armes de destruction massive en Libye.


Quand l’affaire de la démission de Petraeus paraît, c’est donc une onde de choc qui traverse les États-Unis.


Une question de sécurité nationale ou de mœurs ?

Aux États-Unis, on ne plaisante pas avec la question morale. L’adultère est une offense faite à dieu – rien moins que cela-, et est même considéré comme illégal dans certains États. Par ailleurs, et c’est d’autant plus grave pour David Petraeus, le Code militaire américain stipule que c’est un crime (article 134). Les soldats doivent en effet être irréprochables moralement, mais également se prémunir de la porte ouverte à l’espionnage que constitue pour eux un adultère.


Ainsi, lorsque, pendant la Seconde Guerre mondiale, les services spéciaux ont découvert une photo de la maîtresse de Kennedy posant avec Hitler, l’homme a dû quitter son poste et la fille prendre le large. Question élémentaire de sécurité.


La CIA considère en effet qu’à partir du moment où un de ses agents est potentiellement sensible à un chantage, il est affaibli. Et c’est là que se connectent les dimensions morale (le jugement porté sur un adultère) et politique (la sécurité nationale). Dans le cas du général Petraeus, ce n’est ni tout à fait l’une, ni tout à fait l’autre qui l’ont fait tomber. Ce sont les deux combinées.


Car il ne faut pas non plus exagérer le caractère puritain des Américains. On cite toujours l’affaire Clinton/Lewinsky en référence, mais à l’époque, si 60% des Américains pensaient que le président avait moralement failli, la même proportion lui accordait son soutien sur le plan politique, considérant que c’était un bon chef d’État. Une manière d’expliquer que les Américains savent distinguer les deux sphères, qu’ils ne sont pas les idiots puritains que l’on se plaît parfois à caricaturer.


L’adultère vu des États-Unis : une marque de faiblesse

Ce n’est pas parce qu’il y a infidélité dans la vie privée que, par pur puritanisme, les Américains disqualifient l’individu dans la sphère publique. Mais quand il y a une résonance dans cette dernière, avec par exemple le risque d’un affaiblissement ou d’un chantage comme c’est le cas dans l’affaire Petraeus, alors ils sont plus exigeants. Ils sanctionnent la faiblesse qu’un adultère révèle.


Exemple éclairant lors de la campagne présidentielle de 1988 : Gary Hart, candidat démocrate et favori, doit abandonner la course à la primaire après la révélation de sa liaison extra-conjugale. Ce n’est pas tant l’infidélité que l’opinion américaine a sanctionné que ce qu’elle signifiait en termes d’absence de discernement dans ce moment clé.


De même, alors que chez nous l’affaire DSK est restée sur le plan des mœurs, les Américains l’auraient appréhendée différemment. Pour eux, elle aurait été un révélateur. Ils seraient donc allés plus loin, en disant que cet homme ne pouvait pas être président, non seulement parce qu’il passait trop de temps à tenter de séduire des femmes, mais aussi parce qu’il mettait de ce fait en danger la fonction présidentielle.


Le général Petraeus occupait LE poste qui ne permettait aucune incartade. Un des plus secrets, où les enjeux sont énormes et les confidences interdites. Or sa maîtresse Paula Broadwell a manifestement eu accès à des renseignements confidentiels, puisqu’elle semblait pouvoir se connecter au compte Gmail personnel du général et qu’elle avait passé du temps en Afghanistan avec lui.


C’est un manque de discernement incontestable, que lui-même a reconnu dans son communiqué. Et cette erreur de jugement ne tient pas uniquement à une question de mœurs.

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