ANALYSES

Reconnaissance de leur Etat à l’ONU : que peuvent en espérer les Palestiniens ?

Presse
29 novembre 2012
Didier Billion - Atlantico
Avec le soutien de la France, l’Etat palestinien vient d’être reconnu par l’ONU en tant que pays observateur. Bien qu’il s’agisse d’une grande victoire diplomatique pour Mahmoud Abbas, il semble rester de nombreux défis à relever avant que l’Etat palestinien en soit réellement un. Quels sont-ils ?

Il s’agit effectivement d’une grande victoire, qui vient malgré tout après une attente de quatorze mois, nous arrivons à la fin d’un processus et au début d’un nouveau. Cela va permettre à l’Etat palestinien d’être dans de nouvelles agences de l’ONU, comme c’est déjà le cas pour l’UNESCO par exemple, mais surtout il va pouvoir saisir le tribunal pénal international sur les questions de colonisation. Il s’agit d’un extraordinaire levier politique qui permettrait le lancement de certaines procédures judiciaires à l’encontre d’Israël.


Ceci étant dit, la réalité de l’Etat palestinien est plus complexe que cela à cause de deux problématiques essentielles, politique et économique, qui ne lui permettent pour l’instant pas d’être un véritable Etat. Le processus de colonisation rampant, incessant et permanent de l’Etat d’Israël en Cisjordanie est extrêmement problématique. Lorsqu’on regarde la carte des colonies, on constate que les voies de communication entre celles-ci et qui sont interdites d’usage aux Palestiniens rendent la vie quotidienne de ces derniers extrêmement compliquée et difficile. Cette reconnaissance n’a aucun impact concret si elle n’est pas accompagnée de la mise en place d’un processus de pourparlers entre Palestiniens et Israéliens. Malheureusement, on ne ressent pas vraiment la volonté des dirigeants de l’Etat hébreux pour que cela avance et même si monsieur Abbas engage des procédures judiciaires grâce au nouveau statut, celles-ci prendront des mois voire des années.


Le deuxième versant de la construction d’un Etat palestinien concret est l’économie. Même si celle-ci s’est un peu améliorée autour de l’embryon d’économie qui existe en Cisjordanie, l’économie palestinienne dans son ensemble est quasi inexistante. De plus, tous les produits importés en Palestine transitent par Israël qui reverse ensuite les droits de douanes aux Palestiniens. Ce n’est pas la seule source de revenus mais elle est très importante malgré tout. Or, il y a eu une déclaration très inquiétante de monsieur Lieberman, un peu avant le dernier épisode de violences à Gaza, dans laquelle il déclarait que si l’Etat palestinien était reconnu par l’ONU, il ferait tout pour faire tomber le régime de Mahmoud Abbas. On peut donc imaginer que les Israéliens décident de ne plus reverser ces droits de douanes et handicaper lourdement l’économie palestinienne, encore plus qu’elle ne l’est déjà. Il existe donc un double Damoclès économique, celui d’une économie structurellement faible et de la menace israélienne. La reconnaissance de l’Etat palestinien n’arrangera donc pas tout. Loin de là.


Quelles sont les conditions requises par les différentes forces en présence pour la reprise des négociations ?

Les Palestiniens considèrent que les négociations doivent se baser sur – feu diront certains – les accords d’Oslo et l’arrêt de la colonisation. De leur côté, les Israéliens se disent prêts à reprendre les négociations dans la forme actuelle des choses plutôt que de revenir au moment où le processus a échoué. C’est une véritable quadrature du cercle dans laquelle les discussions sont officiellement au point mort bien qu’elles continuent à exister officieusement. La question est de savoir qui lâchera le premier et la réponse est personne s’il n’y a pas d’intervention des grandes puissances et idéalement de l’ONU dans son ensemble. Dans la situation actuelle, il est concrètement impossible de négocier puisque les frontières ont bougé et que personne n’est d’accord sur la base de réflexion qui servirait de socle à ces conversations.


Une saisie du tribunal pénal international par Mahmoud Abbas pourrait-elle contraindre l’Etat d’Israël à accepter les bases de négociation voulues par les Palestiniens ?

C’est techniquement possible mais à n’en pas douter ce sera un processus extrêmement long. Le gouvernement israélien a une durée de vie très courte puisque les élections arrivent dans les mois qui viennent et j’ai bien peur que ce qui en sortira n’ait un centre de gravité politique encore plus hostile aux négociations que le gouvernement actuel. J’ai la sensation de plus en plus claire que les gouvernements israéliens jouissent d’un sentiment d’impunité croissant dû à l’inaction, ou l’action insuffisante, des puissances extérieures. Si celles-ci n’agissent pas avec plus de fermeté que ne l’a fait Obama au cours de son premier mandat, les dirigeants israéliens n’ont aucune raison de se mettre autour d’une table pour discuter. Nombreux sont ceux qui supputent sur la capacité du président Obama à durcir le ton à présent qu’il est débarrassé de problématique de réélection mais j’ai bien peur que l’on surestime son influence et sa volonté pour le faire. Je crois que s’il y a un espoir, celui-ci viendra surtout d’une communauté internationale, unie et forte, si possible par le biais de l’ONU. Comme le disait Churchill à propos de la démocratie, c’est le pire des systèmes mais il n’y en a pas de meilleur.


Mahmoud Abbas se trouve-t-il également face à un défi interne incarné par le Hamas pour la reprise des négociations ?

Le Hamas n’a rien à gagner dans une reconnaissance de l’Etat palestinien mais il n’a rien à y perdre, disons simplement que ce n’est pas dans son agenda. Le Hamas regarde les entreprises diplomatiques de monsieur Abbas avec un sourire goguenard. Il est probable que le Hamas soit favorable à une discussion avec Israël mais c’est un problématique qu’il considére comme secondaire, la priorité étant à la reconnaissance internationale. Je constate que le Hamas contrôle le processus de violence dans la bande de Gaza et qu’il a plutôt intérêt à maintenir le calme s’il veut bénéficier de cette reconnaissance par les puissances occidentales. On sait désormais que les tirs de roquettes qui ont provoqué la dernière vague de violence à Gaza n’étaient pas à l’initiative du Hamas et qu’il s’agit d’une lourde entaille à son autorité. Mahmoud Abbas et son parti sont reconnus dans le monde entier alors que le Hamas, bien que reconnu comme mouvement de résistance nationale par les pays arabes, est classé parmi les mouvements terroristes par la plupart des pays occidentaux. Ce qui a également généré la dernière vague de violence est la visite de l’émir du Qatar en personne qui a laissé un chèque de 400 millions de dollars au Hamas et lui a ainsi donné une forme de légitimité. Les dirigeants israéliens ont peur de cette normalisation du Hamas et ont du changer leurs grilles d’analyses après les différents mouvements révolutionnaires des pays arabes. On le constate par exemple avec Mohamed Morsi qui a, sur le sujet, opéré rapidement et efficacement.

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