ANALYSES

Militantes kurdes tuées à Paris : entre manipulation et contre-manipulation ?

Presse
11 janvier 2013
Didier Billion - TF1 News

Une chose est sûre après le meurtre de trois membres du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, tuées par balles à Paris : "c’est une affaire très obscure", expliquent à TF1 News autant Olivier Grojean, maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille et spécialiste des mouvements kurdes, et Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et fin connaisseur de la Turquie.


Deux thèses viennent spontanément à l’esprit : tout d’abord, en raison de la personnalité des victimes et du lieu -le Centre d’information du Kurdistan est une sorte de "bureau officieux du PKK" en France-, le règlement de comptes interne à la formation séparatiste kurde. Problème : "Certes, ce type d’actions a eu lieu au début des années 80. Dix militants avaient alors été tués en France, en Suisse et en Suède. Mais c’est du jamais vu en Europe depuis 1987. Cela s’est produit depuis seulement quelques fois au Moyen-Orient ", souligne Olivier Grojean. "Le modus operandi est aussi très bizarre : les assassinats semblent avoir été commis au pistolet silencieux. Or, là non plus, cela ne correspond pas aux actions internes du PKK en Europe", ajoute-t-il.


Contre-productif pour la Turquie ?

Ensuite, la piste de la Turquie, évidemment avancée rapidement par la communauté kurde de Paris. "C’est un réflexe pavlovien pour les Kurdes. Dès qu’un problème survient, la Turquie est accusée. Mais il convient de bien regarder le contexte politique sur ce point : elle n’a absolument aucun intérêt actuellement à éliminer des membres du PKK à l’étranger. Au contraire, ce serait totalement contreproductif", estime Didier Billion.


Depuis quelques semaines, Ankara mène en effet des négociations avec Abdullah Öcalan, le patron du PKK, emprisonné. Et, selon la presse turque, un accord prévoyant l’arrêt de la guérilla contre des droits élargis pour la minorité kurde serait d’ailleurs sur le point d’être signé. Olivier Grojean abonde dans ce sens en faisant remarquer que les "services secrets turcs n’ont jamais agi ainsi à l’étranger".


"Timing" bizarre

Malgré tout, dans un premier temps, et en attendant d’avoir plus d’éléments, difficile de ne pas faire de rapport entre les meurtres de Paris et les pourparlers en cours en raison de leur "timing", "très bizarre" pour Olivier Grojean et Didier Billion.


Des jusqu’auboutistes du PKK seraient-ils tentés de faire capoter les négociations, à n’importe quel prix, en visant Sakine Cansiz, l’une des fondatrices du mouvement et proche d’Öcalan ? Les avis divergent. Pour Didier Billion, "même s’il est difficile pour des membres du parti de prendre publiquement des positions contre Öcalan, on sait qu’il y a néanmoins des clivages". Un avis que tempère Olivier Grojean, en rappelant qu’au PKK, "il est quasi-impossible de ne pas se situer sur la ligne Öcalan". A l’opposé, il est fort probable que des opposants à un accord existent également dans l’appareil d’Etat turc, tout comme chez les "loups gris" de l’extrême-droite. De là à avoir l’envie -et surtout la possibilité- d’agir en France, c’est une autre histoire.

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