ANALYSES

Mali : « La France a besoin des troupes africaines »

Presse
14 janvier 2013
Jean-Vincent Brisset - Arte Journal

Jean-Vincent Brisset est un ancien général de brigade aérienne. Il est aujourd’hui directeur de recherches à l’IRIS, l’Institut de recherche international et stratégique. Il a notamment publié "Manuel de l’outil miliaire – Comprendre le fonctionnement des armées" chez Amand Colin. ARTE Journal l’a interviewé sur les enjeux stratégiques d’une intervention française au Mali. Il nous explique que la France est partie seule dans cette opération car l’urgence l’imposait. Aujourd’hui, elle s’efforce de préparer l’armée malienne à reprendre le contrôle du pays mais la formation des armées africaines a toujours été un défi de taille pour les Français et les Américains sur le continent.


Peut-on dire que l’intervention française au Mali est une intervention d’envergure ?

C’est une opération d’envergure dans la mesure où une multitude de moyens a été engagée, des moyens terrestres comme aériens. Cette opération engage pas mal de monde mais il faut pouvoir comparer. Le dispositif prévu c’était 3000 militaires africains donc si on arrive à 1000 militaires français, ça ne représente qu’un tiers du dispositif prévu avec des troupes africaines.


Cette opération déclenchée par la France à la demande du Mali ne risque-t-elle pas de relancer les soupçons interventionnistes de la France en Afrique, voire de réveiller les fantômes de la Françafrique ?

On est vraiment dans une opération qui est assez légitime, qui est normale. C’est un mandat qui a été donné par l’ONU, la totalité des pays autour semblent être d’accord. On est dans le cadre d’une opération qui se joint à une opération purement africaine, il n’y pas eu de veto au Conseil de sécurité ni même de vote défavorable de la Russie ou de la Chine donc je pense que pour une fois il n’y a pas de soupçon d’illégitimité sur cette opération. La seule question c’est pourquoi la France s’est trouvée tout d’un coup engagée, pourquoi est-ce qu’elle a été obligée d’intervenir toute seule alors que ce n’était pas prévu qu’elle intervienne au sol et pourquoi on a fait ce choix extrêmement brutal, au point de vue de la prise de décision. On a fait ariver les renforts en 48h environ et on n’a même pas pu attendre que ces renforts arrivent. Les hélicoptères engagés interviennent traditionnellement de nuit et on les a fait intervenir de jour avec tous les risques que cela comporte. On a bien vu qu’un soldat avait été tué parce qu’on les a fait intervenir de jour. Donc on est intervenu dans l’urgence et on a fait le renforcement et tout ce qui était nécessaire après. L soutien américain et britannique dont on a besoin sont déclanchés a posteriori.


Justement pourquoi la France est partie en premier dans cette opération ?

Dès le début la France était leader de l’opération sur le plan du soutien. Dans la résolution des Nations Unies et dans tous les accords qui ont suivi cette résolution, il était bien précisé que la France apportait son soutien très directement et à partir du moment où on était dans une situation d’urgence, la France était la seule capable de faire quelque chose. L’armée malienne n’existe plus sur le plan opérationnel.


Aujourd’hui la France cherche des soutiens de ses partenaires étrangers. Pourquoi en a-t-elle tant besoin ?


Elle en a besoin car la France a des moyens assez limités, elle a notamment besoin d’avions de transport pour se projeter à l’exterieur. Elle a besoin de moyens de renseignement supplémentaires, elle a déjà les siens mais elle peut en avoir besoin de supplémentaires. Et puis elle a besoin de troupes africaines. Depuis maintenant presqu’une quinzaine d’années, aussi bien la France que les Etats-Unis, ont été à la tête d’initiatives de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, de manière à ce que l’Afrique soit capable de régler elle-même ses problèmes or ces capacités africaines ne sont pas démonstratives.


Justement la France veut former les soldats de l’armée malienne afin qu’ils puissent, eux-même, reprendre le contrôle du nord du pays. Cet objectif vous semble-t-il réalisable ?

Si on va jusqu’au bout, si on ne se désengage pas rapidement et brutalement, il est possible qu’on arrive à quelque chose, d’un autre côté la formation des armées africaines, c’est quelque chose qui malheureusement ne fonctionne pas si bien que ça. Ca fait des années et des années que la Française forment des militaires africains et on le voit encore une fois les contingents des différents pays qui vont intervenir seront sans équipement et avec des formations incomplètes.


Il vous parait donc ambitieux de vouloir rendre ses plein pouvoirs à l’armée malienne pour reprendre le contrôle du pays ?

Il faudrait qu’à terme l’armée malienne puisse avoir le contrôle mais pour le moment il n’en est pas question. Il va y avoir une période intérimaire. Dans un premier temps, la France sera seule – avec un peu d’aide américaine et britannique – à supporter l’effort. Ensuite on espère que les contingens africains vont pouvoir prendre leur part du fardeau, ce qui va prendre au moins un ou deux mois. Et ensuite, il y aura une période relativement longue où ce sont les contingents africains qui petit à petit vont passer le relais à l’armée malienne parce qu’elle sera en cours de formation avec les militaires français. Donc on peut espérer que les contingents africains pourront prendre en charge la reconquête du nord du Mali, donc dans les deux mois qui viennent, sachant aussi que les frappes aériennes françaises vont sérieusement mater une partie de la rébellion

Sur la même thématique
Caraïbe : quels enjeux pour les opérations HADR ?