ANALYSES

Mali : les Etats-Unis sont-ils encore nos alliés ?

Presse
29 janvier 2013
Jean-Vincent Brisset - Atlantico
Les États-Unis viennent d’annoncer ce matin qu’ils appuieraient gratuitement l’intervention des forces françaises et africaines au Mali en fournissant notamment du matériel de transport. Comment expliquer qu’une décision aussi peu engageante ait mis tant de temps à se décréter ?

En fait, les États-Unis ont appuyé l’opération Serval dès les premiers jours. Ils ont en effet fourni des moyens de reconnaissance technique, satellites et drones, puis des avions de transport C-17. Il a toutefois été question dans un premier temps, de facturer les vols des C-17. L’appui qui vient d’être annoncé concerne à la fois la gratuité et l’ajout de moyens de ravitaillement en vol. S’y ajoute une participation plus active d’Africom, le Commandement des États-Unis pour l’Afrique, en particulier pour transporter et équiper les forces africaines participantes.


De nombreux facteurs expliquent les réticences américaines. Il est difficile de déterminer la part réelle de chacun d’entre eux, mais on peut au moins en citer certains. Les Américains sont perplexes devant le manière dont les opérations ont été déclenchées. Ils le sont aussi sur les « buts de guerre » qui ne semblent pas encore les avoir fixés de manière claire par les responsables français. Le fait de n’avoir été prévenu qu’à la dernière minute du déclenchement en catastrophe d’une opération non préparée a certainement aussi agacé Washington. Notre retrait accéléré d’Afghanistan, finalisé à grand renfort médiatique fin décembre et suivi d’une demande d’aide moins de deux semaines plus tard est aussi mal perçu. La France avait fait une forte pression à l’ONU pour l’adoption de la résolution 2085, en avançant qu’elle allait assumer la montée en puissance d’une force africaine qui serait chargée des opérations. Dans les faits, en l’absence d’une action diplomatique forte, cette montée en puissance n’avait toujours pas commencé au jour du lancement de l’opération Serval.


Mais c’est surtout à l’Europe que les États-Unis ont des reproches à faire. Incapable de se donner les moyens de ses ambitions, incapable de mettre en commun les trop rares moyens qu’elle possède, incapable de prendre des décisions .Le « burden sharing » est une demande répétée, qui ne trouve toujours pas d’écho, seulement des appels au secours.


La relation entre Paris et Washington semble être assez médiocre malgré la poursuite d’un objectif commun au Nord-Mali. Pourquoi ?

Il ne faut pas se leurrer. Paris a des relations difficiles non seulement avec Washington, mais aussi avec beaucoup de grandes capitales, en particulier les plus proches que sont Londres et Berlin. Pour parler plus précisément des relations avec les États-Unis, outre les points cités plus haut, certaines remarques faites par des dirigeants français font resurgir les accusations d’arrogance qui ont souvent entaché l’image de nos relations internationales. Elles passent d’autant plus difficilement que Paris est cette fois en position de demandeur et que le succès des opérations décidées sans concertation par la France passe obligatoirement par des aides extérieures.


Peut-on dire par ailleurs qu’il existe "une réelle volonté d’engagement" des Américains au Mali au lendemain de l’épisode libyen ?

Les dirigeants américains sont parfaitement conscients des risques que font courir les actions des islamistes dans l’espace sahélien. Ils savent aussi -et ils en profiteront probablement- que leur aide est indispensable, tout comme elle l’a été en Libye. Mais cette campagne de Libye leur a laissé un goût amer, comme à d’autres participants d’ailleurs. Si la gestion militaire des opérations ne souffre pas de reproches, la gestion politique leur est apparue comme plus discutable. Ce qui devait au départ n’être qu’une opération de préservation des populations civiles s’est transformé en un soutien quasi total à une faction engagée dans une guerre civile. La Russie et la Chine ont eu l’impression d’être floués et bloquent d’autres résolutions. La dispersion des arsenaux libyens est une des causes des succès des rebelles islamistes au Mali. L’assassinat de Khadafi a aussi privé le monde d’un procès qui aurait justifié les opérations. Enfin, alors que ce sont les États-Unis qui ont supporté les plus grosses dépenses au cours de la campagne, la France a voulu profiter seule de la récupération politico-médiatique.


Comment expliquer du reste cette frilosité de Washington alors que le risque de l’extension du djihadisme islamique dans la région semble très concret ?

Les États-Unis font toute confiance aux Armées françaises, qui ont fait une belle démonstration de réactivité et d’efficacité, mais qui atteignent très vite les limites de leurs moyens. Ils sont sans doute prêts à accentuer leur aide, qui est indispensable aussi bien en soutien direct des forces françaises qu’en appui des forces africaines qui sont amenées à prendre une part du fardeau. Il faudra cependant que les dirigeants français arrivent à sortir du flou qu’elles entretiennent actuellement et qu’elles fixent des buts clairs aux opérations afin de mériter de nouveau la confiance d’alliés incontournables. Malgré les rancœurs et les réticences, Washington a des intérêts en Afrique, et, pour le moment, ils sont concordants avec ceux de Paris.

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