ANALYSES

L’Italie en campagne électorale : les 3 raisons du come-back de Berlusconi

Presse
7 février 2013
Par [Fabio Liberti->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=liberti], directeur de recherche à l’IRIS

Dans deux semaines, les Italiens éliront leurs 630 députés et 315 sénateurs. Silvio Berlusconi avait déjà surpris en annonçant sa candidature, voilà qu’il remonte maintenant fortement dans les sondages. Pourquoi ? Fabio Liberti, directeur de recherche à l’IRIS, dégage trois raisons principales.


Les sondages d’opinions sont formels, Silvio Berlusconi revient comme un boulet de canon et réussit pour l’instant une brillante campagne électorale, alors que sa carrière semblait compromise il y a encore un mois.


Au mois de décembre, le Parti Démocrate (principal parti de centre-gauche, allié au parti radical de gauche SEL) flirtait avec les 35% d’intentions de vote au terme d’élections primaires réussies, tant pour la participation citoyenne que pour l’occupation du terrain du débat médiatique, qui ont consacré Pierluigi Bersani comme le candidat de la coalition de centre-gauche. Le Peuple de la Liberté (PDL) berlusconien était dans un état comateux, au plus bas historique à 13% (alors qu’il avait recueilli 38% des suffrages en 2008).


Aujourd’hui les principaux instituts de sondages italiens donnent au centre-gauche une avance comprise entre 4 et 6 points, certes encore importante, mais ayant fondu comme neige au soleil en deux mois seulement. Comment expliquer cela ? Silvio Berlusconi peut-il être à nouveau élu Premier ministre ?


1- Une loi électorale qui favorise grandement Berlusconi

Berlusconi bénéficie tout d’abord d’une loi électorale qui avait été conçue sur mesure pour son camp. Alors que les élections législatives de 2006 approchaient, et que le camp de centre-gauche jouissait d’une avance confortable dans les sondages, Silvio Berlusconi alors au pouvoir avait fait voter une loi électorale (connue comme le "Porcellum" qui pourrait être traduit par la "cochonnerie"…) qui différencie l’octroi de la prime de majorité dans les deux rames du parlement.


Le système italien étant basé sur un bicaméralisme parfait (chaque loi doit être adoptée par les deux rames du parlement), il s’agissait à l’époque "d’amputer" la victoire du centre-gauche. En effet, la prime de majorité à la chambre des députés est calculée sur une base nationale (la coalition ayant remporté le plus de votes obtient automatiquement 55% des sièges), alors que pour le Sénat cette prime est calculée sur une base régionale. Or, la région la plus peuplée du pays, la Lombardie, est historiquement acquise à la droite, grâce aussi à l’alliance entre Berlusconi et la Ligue du Nord, tout comme une autre région-clé, la Sicile.


Ainsi, Berlusconi espérait limiter les dégâts en remportant le Sénat, rendant impossible la naissance du gouvernement Prodi. A l’époque le calcul berlusconien avait (relativement) échoué. Aux termes d’une brillante campagne électorale, Berlusconi avait rattrapé presque entièrement le retard du centre-gauche, qui avait remporté la bataille du Sénat avec une maigre avance d’un seul siège. Ceci avait rendu fortement instable le gouvernement Prodi (qui avait été contraint de nommer 103 personnes au sein de son exécutif…), soutenu par une coalition hétérogène de 14 partis unis par le seul rejet du "berlusconisme".


Un gouvernement né déjà agonisant, et qui avait permis à peine deux ans après à Silvio Berlusconi de revenir triomphalement au pouvoir. Aujourd’hui le scénario a évolué, mais la loi électorale est la même et présente les mêmes dangers.


2- Un jeu d’alliances et de régions-clés

L’évolution du scénario est dû à l’évolution du bipolarisme à l’italienne (une coalition de centre-gauche opposée à Berlusconi depuis deux décennies), qui va céder le pas à un système multipolaire, marqué par l’entrée dans l’arène politique de Mario Monti (à la tête d’un rassemblement de centristes), du Mouvement 5 étoiles de l’humoriste Beppe Grillo qui prône un référendum sur le maintien de l’Italie dans la zone euro et un renouvellement radical du personnel politique de la péninsule, ainsi que du Parti de gauche radicale "Révolution civique".


Mais si la chambre des députés semble acquise à la coalition de centre-gauche grâce à la prime nationale à la coalition obtenant le plus de votes (33% aujourd’hui dans les sondages pour le centre-gauche contre 26-29% pour le rassemblement berlusconien), la situation au Sénat est plus compliquée.


Le centre-gauche ne disposera pas de la majorité absolue dans la chambre haute, à moins de remporter toutes les régions-clés (dont la Lombardie et la Sicile). Or la politique d’alliance de Silvio Berlusconi (avec la Ligue du Nord notamment) et une campagne électorale ciblée (en promettant une amnistie fiscale, il parle à son électorat au nord du pays, composé par des professions libérales et des chef de milliers de petites entreprises qui font la force de l’économie italienne, et qui affichent un taux médiocre de fidélité fiscale) pourraient lui permettre de remporter la Vénétie, la Lombardie, outre la Sicile, et obliger le centre-gauche à l’alliance avec Monti.


A moins que la miraculeuse campagne de Berlusconi ne lui permette de remporter d’autres régions (voire la majorité à la chambre des députés, dans un scénario extrême), ce qui rendrait impossible toute majorité sans son parti et changerait totalement la donne, le mettrait en position de force pour négocier sa sortie de scène définitive….


3- Des adversaires affaiblis

Mais comment Berlusconi arrive-t-il à dominer autant la campagne électorale et à effacer ses compétiteurs ? Mario Monti, champion des marchés financiers et des capitales européennes, paie une année à la tête du gouvernement marquée par une forte augmentation des impôts, des réformes impopulaires, l’approfondissement de la récession économique, l’explosion du taux de chômage. Certes ces mesures ont été rendues nécessaires par les erreurs berlusconiennes, et votée par tous les principaux partis, mais aux yeux de l’opinion publique, Monti est l’homme des pouvoirs financiers, et de l’austérité généralisée.


Quant au Parti Démocrate, dont les dirigeants ont déjà perdu trois fois la bataille électorale sans apparemment trouver la parade anti-Berlusconi, il se distingue pour une campagne électorale pour le moins terne, et n’a pas vu sa situation améliorée par l’actualité, avec notamment les difficultés de la banque Monte dei Paschi de Sienne, qui est identifiée comme une banque organique au Parti, et qui défraie les chroniques pour des affaires de corruption, ayant nécessité un prêt de 4 milliards de la part de l’Etat. Du pain béni pour les détracteurs de la gauche italienne…


Les marchés financiers, plutôt rassurés par la prévision d’un gouvernement Bersani/Monti, voient Berlusconi remonter et cèdent à la panique, faisant chuter la bourse, augmenter le taux d’intérêts, alimentant la confusion…


Comme Mariano Rajoy en Espagne lors des élections de 2011, Pierluigi Bersani semble avoir axé sa campagne sur la gestion de l’avance électorale, évitant de s’engager sur des promesses intenables étant donné la difficile conjoncture économique. La surenchère démagogique de Berlusconi (qui promet désormais de rembourser la taxe foncière, qu’il avait éliminée, puis réintroduite sous la pression de marchés) pourrait finir par enfin lasser les Italiens et cristalliser l’avance dans les sondages de M. Bersani.


Mais 30% des Italiens se disent toujours incertains quant à leur vote. En tout cas, un scrutin qui semblait joué d’avance est désormais à nouveau chargé de suspense, Berlusconi livrant sa dernière bataille, avec l’énergie de celui qui joue sa survie politique et la défense de ses intérêts judiciaires et économiques.

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