ANALYSES

« Le modèle chaviste n’a rien d’un modèle ! »

Presse
6 mars 2013

Jean-Jacques Kourliandsky est spécialiste des questions relatives à l’Amérique latine à l’Institut de relations internationales et stratégiques à Paris. Le Venezuela, selon lui, ne peut pas fonctionner sans pétrole, une manne qui étouffe le pays.


Quel est le fait marquant du mandat de Hugo Chávez dans la politique économique du Venezuela depuis son arrivée au pouvoir le 1er janvier 1999 ?

Indiscutablement, le contrôle direct qu’il a pris sur la société pétrolière PDVSA en 2002. Cette société était déjà nationalisée depuis 1976, mais elle conservait une autonomie dans sa stratégie. PDVSA pouvait alors choisir la nature et le montant de ses investissements, et surtout la part des recettes qu’elle voulait reverser à l’État. Depuis 2002, c’est impossible, PDVSA est devenue la vache à lait du gouvernement. Placée sous tutelle du ministère de l’Énergie et du Pétrole, la prise de contrôle de l’entreprise a été un choc brutal pour les 18 000 salariés. Une partie d’entre eux ont lancé une grève massive entre décembre 2002 et février 2003 à la suite de nombreux licenciements. La grève a complètement paralysé le pays, mais cela n’a rien changé, le modèle chaviste était en route.


En quoi ce modèle chaviste consiste-t-il ?

Premièrement, il n’a rien d’un modèle à suivre puisqu’il est exclusivement tourné vers le pétrole. La dépendance du Venezuela vis-à-vis de l’or noir a augmenté sous la présidence de Hugo Chávez : le prix du baril est de 100 dollars aujourd’hui, contre 10 dollars au moment de son arrivée au pouvoir. La majorité des recettes de l’État provient de cette manne pétrolière qui représente 80 % des exportations du pays. Selon l’Opep, le Venezuela est le premier pays au monde en termes de réserves pétrolières, les réserves en Amazonie, dans le bassin de l’Orénoque. Le Venezuela est clairement une économie mono productrice, étouffée par le poids des rentrées de devises, qui proviennent de la vente de pétrole.


Les devises dont vous parlez, des dollars américains, ont-elles des conséquences néfastes sur l’économie du Venezuela ?

L’arrivée massive de dollars venant des États-Unis a pour effet de surévaluer la monnaie nationale, le bolivar. Cela induit donc une perte de compétitivité des producteurs locaux, qui ne peuvent plus vendre car ils sont trop chers. Il est, par exemple, moins cher d’importer des brosses à dents que de les fabriquer dans le pays. La politique du bolivar surévalué a provoqué la mort de l’investissement productif et a accentué cette politique de l’importation. Aujourd’hui, 80 % de tout ce que le pays consomme est importé. Même pour le café ! le Venezuela a de tradition été un producteur très important de café. Aujourd’hui, il importe. C’est symptomatique. Et c’est aussi pour cela que les États-Unis et la Colombie sont ses principaux partenaires économiques. En Colombie, le Venezuela importe ses denrées alimentaires ; aux États-Unis, le pays exporte son pétrole.


Comment les ressources financières qui viennent du pétrole sont-elles utilisées ?

Hugo Chávez a utilisé cet argent pour mettre en place des politiques sociales diverses. Dans le secteur de la santé, par exemple, le Venezuela pouvait compter sur la venue de médecins cubains en échange de la vente de pétrole à Cuba à des prix inférieurs à ceux du marché. Ce procédé lui a d’ailleurs coûté de multiples critiques de l’opposition, qui lui reprochait de gaspiller le pétrole vénézuélien. Ces médecins allaient ensuite dans les banlieues de Caracas ou d’ailleurs, soigner gratuitement des populations qui ne bénéficiaient d’aucun soin auparavant. Le même genre de procédé a eu lieu pour mettre en oeuvre des missions contre l’analphabétisme ou pour créer des supermarchés à des prix inférieurs de 20 à 30 % à ceux qui ont cours dans les supermarchés privés. Hugo Chávez a réussi de ce point de vue à réduire la pauvreté mais pas les inégalités.


Et dans les autres secteurs, l’agriculture par exemple, quel a été "l’effet Chávez" ?

Des nationalisations et des expropriations. Avant Chávez, l’agriculture n’existait pas, elle n’existe toujours pas en 2013. Il y a eu quelques nationalisations de terres agricoles, mais le but était plus pour occuper des gens qui n’avaient rien d’autre à faire que pour lancer une politique agricole concrète. Il n’y a eu aucune incidence réelle. En fait, les seules entreprises qui réussissent au Venezuela sont celles liées au pétrole : outre PDVSA, BP pour le Royaume-Uni, Total pour la France et Repsol pour l’Espagne.

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