ANALYSES

Bien pire que les nuées de sauterelles : les dix vraies plaies d’Egypte

Presse
10 mars 2013

Alors qu’un essaim de sauterelles du désert a envahi l’Egypte cette semaine, insectes décrits dans la bible comme la huitième plaie d’Egypte, bien d’autres défis attendent le pays…


Le poids démographique

En Egypte la démographie est un frein majeur au développement économique. En effet si 85 millions d’habitants se répartissent sur un peu plus d’1 million de km2, près de 90% d’entre eux sont concentrés le long du Nil, ramenant ainsi la part de densité réelle de population à 2000 habitants par km2. C’est l’une des densités les plus élevées au monde. L’Egypte est par conséquent un pays surpeuplé qui ne parvient pas à assurer une autosuffisance alimentaire. Le pays, à l’image de la majorité des pays arabes, a une population jeune. Un tiers des Égyptiens à moins de 15 ans. Le taux de croissance de la population est de 1,7% par an (soit une augmentation de 1,4 millions d’habitants chaque année). Cela s’explique par un fort taux de fécondité (3 enfants par femme) et un net recul du taux de la mortalité. Ainsi, ce sont toujours plus de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, alors que l’offre n’évolue pas dans ce sens.


L’accroissement des inégalités sociales

Le programme d’Intifâh (ouverture) lancé par Sadate et accéléré par Moubarak a ouvert la voie à une libéralisation de l’économie égyptienne. Toutefois, le passage du modèle socialiste nassériste, qui a permis l’émergence d’une classe moyenne solide, à l’Infitâh, n’a pas permis de consolider cette progression et de freiner l’appauvrissement croissant d’une partie de plus en plus importante de sa population. Les inégalités sociales ne cessent de s’accentuer et la pauvreté explose sous le poids de l’accroissement démographique. Près de 40% d’Égyptiens vivent avec moins de deux dollars par jour.


La corruption

Les privatisations du secteur public et l’intégration de l’économie égyptienne dans l’économie mondiale n’ont profité qu’à un petit nombre, alors que le pays a connu un véritable essor économique. La privatisation a permis l’apparition d’une classe bénéficiaire liée à l’appareil d’Etat. Gamal Moubarak, alors à la tête du Parti national démocratique (PND), réforma le système économique. Il misa sur l’entrepreneuriat mais très vite la corruption permit aux clients et hommes d’affaires proches de la famille dirigeante d’amasser d’immenses fortunes. Les produits de la croissance ne sont pas redistribués et les conditions de vie des classes moyennes, de la petite bourgeoisie et des travailleurs se dégradent.


La dépendance de l’économie nationale

L’économie égyptienne repose sur trois piliers sensibles aux aléas mondiaux : les rentes du canal de Suez, les transferts d’argent des émigrés, le tourisme et la rente stratégique, (les Etats-Unis assurant un "soutien civil et militaire" de près de 2 milliards par an), l’économie égyptienne est fragile et dépendante.


La dépendance alimentaire

Grand pays agricole de la région (grâce aux terres fertiles de la vallée du Nil), l’Egypte est incapable de nourrir sa propre population, la plus nombreuse du monde arabe. Avec la libéralisation économique accélérée sous la présidence Moubarak, le retrait de l’Etat, la privatisation de l’agriculture au bénéfice d’entreprises tournées vers la seule exportation ont entraîné de graves crises alimentaires se traduisant par des pénuries de pain et de produits de base. Le pays n’a pas été épargné par les "émeutes de la faim" de 2008, entraînées par la flambée des prix alimentaires.


Un système d’éducation défaillant

Si son modèle d’éducation a permis l’exportation de cadres et de travailleurs qualifiés dans toute la région, elle peine aujourd’hui à absorber sur le marché du travail une jeunesse diplômée en proie aux frustrations et aux rancœurs face à une bourgeoisie "parasite" (Henry Laurens). Son système éducatif lui aussi privatisé est en inadéquation avec la réalité du pays et n’a pas permis d’endiguer l’analphabétisme qui touche encore la moitié de la population.


Le blocage institutionnel

Issu des Frères musulmans, le président Mohamed Morsi a pris les rênes du pouvoir le 24 juin 2012. Il a très vite été engagé dans un bras de fer politique avec le Conseil suprême des forces armées (CSFA) et le pouvoir judiciaire, incarné par la Haute Cour Institutionnelle. Ces deux instances ont décidé de dissoudre le parlement, alors dominé par les islamistes, estimant que des irrégularités avient été observées. L’Assemblée Constituante, chargée de rédiger la future Constitution du pays, est elle aussi dominée par les islamistes qui représentent la moitié des membres choisis par le parlement avant sa dissolution. Celle-ci a été très vite paralysée, en raison des divergences d’opinion entre islamistes (frères musulmans, salafistes…) et opposition libérale et laïque. Les principales raisons de leurs divisions portent sur l’introduction d’articles, soutenus par les islamistes, sur l’interdiction du blasphème, l’application de l’aumône religieuse, ou encore le statut de la plus haute autorité de l’islam sunnite. Les tensions sont telles qu’une dizaine de formations libérales ont boycotté les travaux de l’Assemblée, et les coptes ont quitté la commission car leurs propositions étaient rejetées.


Désordre et instabilité qui fragilise l’unité nationale

Si les affrontements entre musulmans et coptes ne font plus l’actualité, l’unité du pays est traversée par de nouveaux clivages. Depuis la chute de président Moubarak et l’élection du président Morsi, le pays n’a pas renoué avec l’ordre et la stabilité. Il est entré dans un cycle de crise politique post-révolutionnaire. On parle de seconde révolution, la place Tahrir est de nouveau occupée, les affrontements entre pro-Morsi et anti-Morsi cristallisent la césure qui coupe le pays en deux camps. Une confrontation qui se polarise aujourd’hui dans la ville de Port Said. La ville du canal de Suez connaît des affrontements meurtriers entre la police et ses habitants, depuis une décision de justice (sur le drame qui avait coûté la vie à 74 supporters de football, en février 2012) qui a condamné 21 personnes à la peine capitale. La tension est à son paroxysme et symbolise la défiance absolue du peuple à l’endroit de sa propre police nationale, accusée de violences gratuites massives et de corruption.


Sentiment d’une révolution confisquée

Si les islamistes (Frères musulmans et salafistes) ont remporté les différents scrutins organisés depuis la chute de Moubarak, leur accession au pouvoir nourri un sentiment de confiscation de la révolution. Les islamistes n’étaient en effet les penseurs ni les instigateurs du soulèvement populaire incarné par le "peuple de la Place Tahrir". Ce dernier avait pour cœur une jeunesse ouverte aux idées libérales et n’appelait pas à une prise du pouvoir par l’islamisme politique.


Le spectre d’un régime autoritaire et religieux

A l’origine de cette nouvelle révolte se trouve le décret du 22 novembre, par lequel Mohamed Morsi s’arrogeait les pleins pouvoirs en s’octroyant le pouvoir judiciaire. Ce décret neutralisait les pouvoirs de la Cour constitutionnelle, lui empêchant par exemple de dissoudre l’Assemblée Constituante. Il prévoyait aussi d’allonger de deux mois la rédaction de la Constitution. Même s’il a tenté de rassurer ses adversaires en affirmant qu’elle n’est que provisoire, l’adoption de ce décret a été perçue comme une dérive autoritaire. L’attitude de Mohamed Morsi est critiquée par l’opposition, rassemblée dans le Front de Salut National. Le temps de la transition semble long aux yeux des Egyptiens qui craignent que la mainmise des Frères sur le pouvoir entraine l’établissement d’un Etat religieux dictatorial. Un projet de constitution a été adopté dans l’urgence et doit être soumis à un référendum le 15 décembre 2012. Mais cette nouvelle constitution est également l’objet de vives critiques. Les opposants estiment qu’elle n’est pas assez représentative du peuple, (coptes et libéraux n’ayant pas participé aux travaux de sa rédaction) et dénoncent son caractère islamique. Pour eux de nombreux passages remettent en question les libertés religieuses et individuelles. Parmi ces passages se trouvent la place de la charia, la loi islamique. Les auteurs du projet ont conservé la formulation de la précédente Constitution, c’est-à-dire que les principes de la charia sont les principales sources du Droit. Mais ils ont également précisé que ces principes font l’objet des interprétations de l’institution religieuse sunnite d’Al Azhar. Cela confère à une institution non démocratiquement élue, le pouvoir de définir les lois. De plus, deux clauses limitent la liberté d’expression : la première interdit toute insulte au prophète, et la seconde sanctionne les insultes aux personnes physiques. La liberté de culte n’est assurée qu’aux pratiquants des religions monothéistes. Concernant les droits des femmes, militants des droits de l’homme et opposants déplorent la révision du texte précédent, qui affirmait que l’égalité entre les sexes était garantie, selon la loi islamique. Le nouveau texte lui, reste assez flou en se contentant de déclarer que "tous les citoyens sont égaux devant la loi et égaux en droits et en devoirs sans discrimination".

Sur la même thématique