ANALYSES

Les Chinois, fournisseurs d’armes de ceux à qui personne d’autre ne veut en vendre

Presse
20 mars 2013
La Chine est devenue le cinquième plus grand exportateur d’arme au monde, dépassant ainsi le Royaume-Uni, un acteur pourtant historique du secteur. Quel type d’armes les Chinois vendent-ils ? Quel type de matériel ? Faut-il croire qu’ils vendent des armes de même qualité que les armes occidentales ?

La montée en puissance de la Chine comme exportateur d’armements s’inscrit dans un processus qui a fait d’elle, au cours des années, l’usine du monde. Il est donc logique qu’elle devienne un acteur majeur dans ce secteur, tout comme elle est un acteur majeur dans de nombreux secteurs industriels. La seule différence est que, contrairement à ce qui se passe dans d’autres secteurs, l’industrie d’armement chinoise est une industrie purement nationale et non pas une délocalisation d’usines au profit d’entreprises étrangères.


Les matériels exportés sont très divers. Cela va des armes de petit calibre à des avions de combat, des navires de guerre et des missiles. De plus, la Chine est bien moins regardante que beaucoup d’autres pays sur les types d’armes qu’elle vend, et sur les clients qu’elle fournit. Elle est soupçonnée, entre autres, de fournir des mines anti-personnel dont elle a été le plus important fabricant. Elle fait encore de la publicité pour des bombes à sous-munitions.


Les armes que vend la Chine sont moins chères, souvent même beaucoup moins chères, que celles de catégorie identique proposées par les pays occidentaux et la Russie. Elles sont aussi moins sophistiquées. Leur fiabilité est très variable, mais elle peut être très bonne pour les matériels les plus simples. Par contre, la Chine ne sait pas encore fabriquer certains types d’équipements. Elle recourt donc à des importations, de Russie le plus souvent, à des aides étrangères, ukrainiennes en particulier, ou à des tentatives de contrefaçons ou de militarisation de matériel civil d’origine occidentale.


La Chine entre-t-elle en concurrence directe avec les Occidentaux en vendant des armes aux même clients ou s’adresse-t-elle à d’autres pays ? Quelles conséquences pour le secteur de l’armement occidental ?

Les déclarations selon lesquelles la Chine est devenue le cinquième plus grand exportateur d’armes au monde arrivent à un moment bien particulier : la conférence finale des Nations unies pour un traité sur le commerce des armes commence le lundi 18 mars à l’ONU, et la Chine ne voudrait surtout pas que ce traité lui apporte des contraintes.


L’industrie d’armement chinoise est presque entièrement nationalisée, même si une timide ouverture au secteur privé se dessine. Elle est organisée autour d’une dizaine de conglomérats étatiques, qui mêlent productions civiles et militaires dans des organisations tentaculaires qui, en 2010, employaient 3 millions de personnes pour un chiffre d’affaires global de 180 milliards de dollars, mais qui ne dépendaient des produits militaires que pour moins de 20% du total.


Le fonctionnement de la Chine comme fabricant exportateur de matériels militaires obéit à des logiques très particulières. Tout d’abord, la liste de ses clients est bien différente de celles des autres grands exportateurs. Le Pakistan absorbe à lui seul 55% de ses ventes. Les autres clients importants sont la Birmanie, l’Iran, l’Algérie, le Bangladesh, mais aussi le Venezuela. La Chine fournit par ailleurs beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, mais on exagère souvent le volume de ces ventes. Une autre particularité des armements chinois est d’être, très souvent, des contrefaçons ou des "développements" de matériels russes ou occidentaux ou bien d’utiliser des éléments produits sous licence, mais en dépassement des accords de licence et en violation des clauses de non-réexportation. On découvre aussi que la Chine n’arrive pas à produire des réacteurs fiables et compétitifs, et équipe des avions de combat qu’elle exporte (ou essaie d’exporter) avec des moteurs achetés à la Russie. Mais ces avions viennent en compétition avec ceux proposés par Moscou.


Pour le moment, la concurrence avec les produits occidentaux est assez limitée, la différence entre les tarifs pratiqués étant trop importante. Un pays comme le Pakistan choisit ainsi de se fournir auprès de la Chine pour les équipements "de base", et auprès des Occidentaux pour les matériels plus sophistiqués, où d’équiper des matériels chinois de sous-ensembles (radars, systèmes de communication) plus performants provenant d’Europe. Ce qui pose beaucoup plus de problèmes est la pratique généralisée de la contrefaçon et des détournements des technologies et des savoir-faire -occidentaux surtout. Toutes les technologies duales disponibles font systématiquement l’objet de tentatives d’acquisition et sont réemployées dans le secteur de l’armement. Les embargos imposés par l’Europe et les États-Unis sont ainsi contournés, parfois avec la complicité des fabricants et des gouvernements occidentaux qui feignent de ne pas voir qu’un équipement soi-disant civil est employé sur des matériels militaires offensifs. Petit à petit, le risque est de voir les armements chinois s’imposer sur les marchés des pays qui ne désirent pas continuer une course à la technologie et estiment que des matériels rustiques peuvent suffire à leur défense.


Alors que la Chine dispose déjà du second plus important budget de la défense au monde derrière les États-Unis, la croissance de celui-ci est supérieure à 10%. Qu’est-ce que cette nouvelle place au sein des grands acteurs des ventes d’arme révèle de la stratégie géopolitique et économique chinoise ?

Comme me le disaient des interlocuteurs taïwanais, parlant des ambitions militaires de la Chine : "tout ce que les Américains ont, les Chinois veulent l’avoir". L’Armée populaire de libération a découvert à l’occasion de la guerre du Golfe que les armements dont elle disposait, et qui étaient mis en œuvre par l’armée irakienne, étaient complètement obsolètes et que son complexe militaro-industriel était totalement dépassé et improductif. De plus, Deng Xiaoping, qui plaçait l’essor économique du pays avant tout, avait fait de la Défense la dernière de ses priorités. Depuis la fin des années 90, la Chine est donc rentrée dans une logique de rattrapage très ambitieuse, qu’elle poursuit toujours. Les ventes d’armes sont donc une suite cohérente et très mercantile, qui permet d’engranger des devises, et de soutenir un secteur industriel où les échanges entre la recherche militaire et la recherche civile sont très fortement encouragés. Elles viennent cependant en accompagnement d’une politique, quand les clients participent à l’encerclement de l’Inde, aux fractures dans le camp de l’ASEAN ou au soutien à des régimes condamnés par l’Occident, mais disposant de matières premières.


La Chine est devenue, dans beaucoup de domaines, la deuxième puissance mondiale. Elle ne sait encore pas si elle veut tenir le même rang sur le plan géostratégique et si elle doit se projeter sur toute la planète. Par contre, elle estime déjà que sa défense doit venir à la hauteur de son économie et qu’elle doit lui permettre d’assurer une suprématie régionale, dans une zone qui, si elle reste assez limitée sur le plan terrestre, s’étend désormais très loin dans le Pacifique. Cette dernière ambition passe par la mise en œuvre de forces navales et aériennes lui permettant de s’opposer efficacement aux flottes américaines.

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