ANALYSES

Le régime de Pyongyang veut tester ses voisins et asseoir son autorité

Presse
2 avril 2013

Olivier Guillard est directeur de recherche, spécialiste de la péninsule coréenne, à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS, Paris). Si les menaces sont courantes et rarement mises à exécution en Corée du Nord, le chercheur estime toutefois qu’un palier a été franchi.


Comment expliquer le regain d’agressivité dont fait actuellement preuve le régime de Pyongyang ?

En Corée du Nord, la surenchère de menaces n’est pas nouvelle. Non suivies d’effet, les mises en garde sont surtout un élément de langage destiné à la population intérieure. Les observateurs s’accordent à dire que le durcissement récent du discours a deux objectifs: d’une part, stabiliser la stature de Kim-Jong Un, l’héritier de Kim-Jong Il, au pouvoir depuis 15 mois. Il s’agit d’impressionner les Nord-Coréens en n’hésitant pas à menacer la communauté internationale, et de les rallier à l’idée que le monde extérieur leur est hostile. Le régime tente ainsi de réaffirmer que toute libéralisation est exclue.


D’autre part, il s’agit aussi sûrement d’attirer l’attention de Séoul et surtout de Washington. Pyongyang est frustré que le dossier nord-coréen ne soit pas une priorité de la Maison Blanche. Dans sa logique absurde, il multiplie les provocations afin que les Etats-Unis lui accordent davantage de contreparties pour le convaincre d’arrêter. Ajoutons par ailleurs que le pouvoir a récemment changé en Corée du Sud, en Chine et au Japon. Le gouvernement de Kim-Jong Un cherche probablement aussi à tester la nouvelle configuration régionale.


Les tensions des dernières semaines sont-elles particulièrement sévères?

Depuis la fin 2012, Pyongyang s’en est pris à la Corée du Sud, au Japon ou aux Etats-Unis de manière plus directe, sévère et quotidienne qu’au cours des 20 dernières années. L’essai balistique mené en décembre et l’essai nucléaire de février (voir ci-contre) ont été mieux maîtrisés, et cette progression technologique donne davantage d’allant au gouvernement de Kim-Jong Un. Bien qu’on ne puisse pas parler de nouveauté, une mesure a été franchie.


Faut-il craindre que la situation ne dégénère plus gravement?

A force de proférer des menaces qui, non seulement ne sont jamais suivies d’effets, mais entraînent davantage de sanctions de la part de la communauté internationale, Pyongyang pourrait se sentir en porte-à-faux et finir par faire une bêtise pour préserver sa crédibilité. Il ne s’agirait pas de la "guerre thermonucléaire" annoncée car la Corée du Nord n’a pas les moyens technologiques, économiques ou diplomatiques de mettre ses menaces à exécution.


Mais dans ce contexte de chantage au pire, où le danger est poussé jusqu’à l’inacceptable, les moindres incidents, incompréhensions ou lassitude peuvent déclencher un engrenage.


Quelle est la position des autres principaux acteurs ?

La nouvelle présidente sud-coréenne Park Geun-Hye maintient une politique de rapprochement admirable; elle a réaffirmé mardi que la porte du dialogue restait ouverte, tout en étant claire sur le fait que Séoul serait sévère au moindre dérapage. Les Etats-Unis restent, eux, dans une patience stratégique: ils n’agiront pas tant que le Nord campera sur ses positions absurdes, mais se joindront à tout type de représailles en cas de menace réelle.


Le véritable positionnement nouveau est celui de la Chine: elle n’a pas l’intention de rompre le lien avec la Corée du Nord, mais n’est plus disposée à lui passer tous les errements qui ternissent l’image chinoise. La Chine lui a déjà adressé deux camouflets en se joignant aux deux derniers volets de sanctions de l’ONU (voir ci-contre).


Comment la situation peut-elle évoluer dans les mois à venir?

L’année 2013 s’annonce longue pour les relations inter-coréennes: d’ici décembre, des bombardements ou des accrochages militaires entre les flottes nord- et sud-coréennes ne sont pas à exclure. Lorsque le régime de Kim-Jong Un sera en place depuis deux ans et aura assis sa fermeté, on pourra en revanche peut-être espérer une inflexion.

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