ANALYSES

Affaire Guéant : blanchiment par la vente de tableaux?

Presse
7 mai 2013
L’affaire Guéant soulève de nombreux questionnements et mérite par conséquent quelques éclaircissements. Dans cette affaire, trois questions se posent: la première concerne les versements en liquide dans les ministères, censés avoir été interdits par le Premier ministre Lionel Jospin en 2002; la seconde est attachée aux règles du marché de l’art et aux contraintes à l’exportation; enfin, la troisième est directement liée aux soupçons de blanchiment via les œuvres d’art, circuit délictuel répandu.

Des primes en espèces dans les ministères…

Suite aux investigations relatives à un éventuel financement de la campagne de Nicolas Sarkozy par la Libye, Claude Guéant a reconnu avoir réglé des factures en espèces pour un total de 20 à 25.000 euros. Obtenu selon lui en tant que "frais de police" avec la tolérance des services fiscaux, cet argent liquide paraît cependant peu conforme avec la législation. En effet, soit ce sont véritablement des "frais d’enquête et de surveillance" et d’une part ils ne pouvaient être destinés qu’aux commissariats, d’autre part ils auraient dû faire l’objet d’une déclaration fiscale. Soit ce sont des fonds secrets ministériels, mais ils sont interdits depuis 2002 suite à une décision de Lionel Jospin, Premier ministre à l’époque.

Cette existence de primes, quelles qu’elles soient, a d’ailleurs été démentie par de nombreuses personnalités directement concernées, de gauche comme de droite: Roselyne Bachelot, Daniel Vaillant et un collaborateur de Dominique de Villepin notamment.

…à l’achat de tableaux…

Parallèlement, Claude Guéant reçoit un virement de 500.000 euros sur ses comptes bancaires, soi-disant suite à la vente de deux tableaux de Van Eertvelt, peintre de marines flamand du XVIIème siècle, à un avocat malaisien. Or ces œuvres sont évaluées chacune à 15.000 euros maximum. L’ancien ministre les a donc vendues vingt fois le prix.

Deuxième problème, cette vente ne fait l’objet d’aucune publicité. Il n’existe en effet pour le moment aucun certificat d’exportation. Donc soit la vente n’existe pas, soit les tableaux sont restés en France, soit les tableaux ont toujours été détenus à l’étranger, soit la vente a eu lieu de manière opaque. Quelle que soit la réponse, la transparence ne paraît pas la qualité première de la transaction, d’autant plus que le certificat d’achat est pour le moment tout autant absent.

 
…pour la revente: blanchiment?

Le blanchiment par la vente d’œuvres d’art est une technique courante, qui suit d’ailleurs un processus qui ne concerne pas seulement le milieu artistique. En quoi consiste ce circuit? De la manière la plus simpliste, considérons tout d’abord un individu récupérant de l’argent liquide, fruit du trafic de drogue, de détournement de fonds ou de fraude fiscale. Il va donner cet argent à un complice, assez riche pour justifier une transaction ultérieure importante et résidant dans un pays peu coopératif en matière de lutte contre le blanchiment et la fraude fiscale. Le criminel lui vend ensuite un tableau (souvent surévalué pour blanchir un volume de capitaux plus important) qu’il achète avec l’argent sale qui lui a été initialement versé.

De manière plus sophistiquée, le circuit peut comprendre des sociétés écrans et les œuvres d’art seront alors acquises par des personnes morales, avec exonération d’impôts dans certains pays. Il faut cependant souligner que le bien vendu n’a pas d’importance. Ce peut être n’importe quelle marchandise puisque l’acheteur et le vendeur sont la seule et même personne, c’est-à-dire l’organisation criminelle ou deux complices. Ce peut être une croûte comme un Van Gogh, un yearling à Deauville ou une Ferrari. Cette technique explique aussi en partie le prix de certains joueurs de football lors du Mercato mondial annuel.

Nous pouvons aussi envisager un blanchiment direct de commissions occultes. La vente surévaluée permet alors de maquiller une commission non déclarée. La somme supplémentaire obtenue par la surévaluation de la vente correspond à la commission. Ni vu, ni connu. Nous avons finalement dans l’affaire Guéant: un achat de tableaux assez flou (provenance des fonds, prix, lieu et date d’achat), une vente assez opaque (pas de certificat), un prix de vente exorbitant (près de vingt fois l’estimation), un acheteur opportun (la Malaisie n’est pas le pays le plus coopératif du monde). Pour l’expert que je suis, ce sont sans aucun doute des éléments déclencheurs de soupçons de blanchiment.
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