ANALYSES

L’Afghanistan peut-il ne pas sombrer à nouveau ?

Presse
23 juin 2013
Alors que l’Afghanistan a pris officiellement sa sécurité en main cette semaine, l’administration Obama vient d’annoncer l’ouverture de négociation de paix avec les Talibans, minant ainsi un peu plus la faible autorité du président Hamid Karzaï. Doit-on craindre une crise politique ?



Malheureusement oui. La récente annonce de l’ouverture par les Talibans d’un "bureau de l’Emirat Islamique d’Afghanistan" au Qatar est en effet une grande victoire politique pour ces derniers, et un revers sévère pour le gouvernement de Hamid Karzaï, qui se retrouve encore plus marginalisé qu’auparavant. Un revers d’autant plus amer qu’il est intervenu le jour de la prise en main par l’Etat afghan de sa propre sécurité. Le fait que les ennemis d’hier soient devenus un partenaire de dialogue fait logiquement craindre à Kaboul qu’ils ne deviennent, à terme, un partenaire politique incontournable dans les décisions futures.


Ce démenti cinglant de la confiance américaine envers Karzaï démontre aussi que le pays est incapable d’assurer sa sécurité, comme le prévoyait pourtant le processus établi lors du sommet de Lisbonne (2010) par l’OTAN. Si la situation sur le terrain avait été meilleure, les Américains ne se seraient surement pas sentis obligés de donner de tels gages à leurs anciens adversaires.


Cette crise politique peut-elle déboucher sur un conflit ethnique comme celui qui se dessine en Irak actuellement ?



La situation afghane se rapproche effectivement de celle de l’Irak sur un point. En Irak la majorité chiite s’oppose aux autres minorités (sunnites notamment, NDLR), tandis qu’en Afghanistan les Talibans s’appuient sur les Pachtounes qui représentent la principale ethnie du pays (38%) pour contrer les revendications des Ouzbeks, des Hazaras et des Tadjiks. Certains chefs parmi cette coalition de minorités affirment qu’ils sont prêts à reprendre les armes pour empêcher le retour des Talibans dans Kaboul, ce qui rend probable l’éventualité d’une guerre civile d’ici moins d’un an


Les Talibans ne sont cependant pas en reste, le pays ayant connu deux attentats dans la journée de mardi : l’un contre la base américaine de Bagram, qui a fait quatre morts, l’autre contre Muhamad Mohaqiq, l’une des principales figures de la coalition évoquée plus haut. Bien que M. Mohaqiq ait survécu de justesse, cet événement démontre bien que les Talibans sont désormais prêts à attaquer frontalement l’opposition légale pour asseoir leur hégémonie. Cette perspective, si elle terrorise les tribus minoritaires, est aussi peu attendue d’une société civile qui certes ne se porte pas très bien mais qui a pu jouir de quelques concessions (jours de libre, relative liberté d’expression, émancipation des femmes…) qu’elle ne souhaite pas perdre encore une fois.


Ce morcellement ethnique peut-il être imputé aux failles de la reconstruction politique organisé par Washington depuis 2004 ?



Je dirais plutôt que les Américains étaient obligés de tenir compte de ce morcellement qui fait intrinsèquement partie de la société afghane. Toutes les relations de pouvoir se sont jusqu’ici réglé entre les quatre grandes ethnies que sont les Pachtounes, les Tadjiks, les Ouzbeks et les Hazaras. En 2001, les Américains se sont appuyés sur l’Alliance du Nord, composée des trois dernières, pour chasser les Talibans et il était logique de voir émerger par la suite un système fondée sur la représentativité ethnique pour contrer les Pachtounes. Logiquement les intérêts se sont mis à diverger et c’est ce qui explique l’actuelle superficialité des institutions politiques du pays, qui n’a jamais vraiment connu la paix depuis 2001.


Quelles peuvent être les débouchés d’une telle situation ? Un conflit est-il inévitable ?



Je commencerai par dire que l’avenir des pourparlers annoncés entre Washington et les Talibans est ici déterminant. En théorie, les Américains ont exigé trois garanties de leurs interlocuteurs :


– Cesser la lutte armée, ce qui vient hélas d’être démenti par les deux attentats de mardi


– Rompre tout lien avec Al Qaeda, chose qui ne sera pas bien difficile puisque l’organisation a pratiquement disparu du paysage afghan.


– Enfin reconnaître la Constitution de 2004, bien qu’il soit possible que Washington soit obligé de négocier certains points pour que le texte finisse par convenir aux Talibans.


Néanmoins, ces derniers sont en position de force et se sont jusque-là refusé à toute négociation tierce avec Kaboul tant que les forces américaines continueront d’être présentes sur le territoire.


Le deuxième élément de taille, c’est l’élection présidentielle d’avril 2014 à laquelle Hamid Karzaï, qui termine son deuxième mandat, ne pourra pas participer. Il tente tant bien que mal de sceller des alliances pour favoriser la candidature de son héritier (certains parlent de son jeune frère, Ahmed Wali Karzaï), mais il devra probablement faire face au général Mohammed Atta, gouverneur du Nord qui est aujourd’hui le mieux placé pour représenter l’opposition. Si le scrutin se retrouve, comme en 2009, entaché par plusieurs fraudes, la possibilité d’un conflit direct et armé entre les différentes factions sera logiquement grandement renforcée.