ANALYSES

L’économie indienne

L’ancien président pakistanais, Pervez Musharraf, vient d’être inculpé ce mardi pour le meurtre de Benazir Bhutto en 2007, une action qui semble s’inscrire dans l’affrontement plus général de l’armée et du nouveau gouvernement de Nawaz Sharif. Peut-on dire pour autant que l’on assiste aujourd’hui à une révolution au Pakistan ?

Olivier Guillard : Nous sommes fort heureusement très loin de cette situation extrême. L’ancien général-président, en revenant au pays au printemps dernier après quatre années d’exil, savait que pesait sur lui une palette de risques, dont celui de démêlés judiciaires non-négligeables, d’une possible incarcération, enfin, last but not least, de risques sur son intégrité physique, ayant lors de ses 9 ans à la tête de la 6ème nation la plus peuplée du globe (193 millions d’habitants), dû composer avec diverses tentatives d’assassinats sur sa personne. Musharraf pensait intrinsèquement que la population pakistanaise avait encore « besoin de lui », après l’intermède passable de l’administration Zardari (2008-2013) et qu’un soutien populaire substantiel à défaut d’être exorbitant, lors du dernier scrutin législatif (mai 2013), le replacerait dans le jeu politique national ou à tout le moins, lui permettrait de profiter d’une immunité associée à un éventuel statut de parlementaire. Les choses ne se sont pas précisément déroulées de cette manière pour l’ancien commando.


Ce qui est sûr, dans le paysage politique pakistanais contemporain que l’on qualifiera, à minima, de terriblement fébrile, est que la dimension symbolique de cet événement ne saurait passer inaperçu : au « pays des purs », jamais un ancien dirigeant militaire, qui plus est hier encore et durant une décennie omnipotent et redouté, ne s’est vu infligé pareil retournement de fortune, plus encore par une administration civile… Depuis leur état-major, leurs casernes et cantonnements, on imagine sans peine le courroux, l’ire des hommes en uniforme.


L’armée pakistanaise joue depuis longtemps un rôle clé dans le fonctionnement politique du pays. Peut-on dire que les évènements actuels signent un début de déclin pour le pouvoir militaire ?



Ne nous y trompons pas ; dans ce pays à la fois fragile, complexe et défiant où, à la différence de l’Inde voisine, la prépondérance de la règle démocratique n’a hélas, depuis l’indépendance (1947), guère eu le loisir de s’épanouir et de s’imposer aux militaires, ces derniers, gouvernement civil démocratiquement élu ou non en place à Islamabad – c’est actuellement le cas, avec le gouvernement civil du 1er ministre Nawaz Sharif -, demeurent les véritables et ultimes détenteurs du pouvoir et de l’autorité de ce pays nucléaire au voisinage sensible (Afghanistan, Iran, Inde, Chine). A l’été 2013, la hiérarchie militaire, depuis les coulisses et ses quartiers, nonobstant le récent scrutin législatif qui draina plusieurs dizaines de millions d’électeurs pakistanais aux urnes, reste un élément central, incontournable et aux capacités d’influence et d’actions sans égales dans le pays. Malheur et représailles à qui l’oublierait. Le fait que l’administration Sharif se « risque » à pareille entreprise en direction de l’ancien général a nécessairement dû en amont, d’une manière ou d’une autre, faire l’objet d’un accord tacite avec les représentants de la hiérarchie militaire et des autorités judiciaires, de manière à s’assurer du soutien, indispensable, de chacun. N. Sharif n’a forcément pas oublié que ses deux premiers mandats de chef de gouvernement (1990-93 ; 1997-99) ont été abrégés en leur temps, directement ou plus subtilement, à la demande de l’intransigeante hiérarchie militaire.


M. Musharraf a décidé de jouer la carte du déni pour sa défense, refusant de plaider coupable pour l’ensemble des charges pesant contre lui. Est-il encore possible, au vu de sa stratégie, d’imaginer un non-lieu comme certains l’affirment ? Pour quelles conséquences ?



La plupart des observateurs peinent à imaginer un ancien général-président condamné par un gouvernement civil, qui plus est pour des faits aussi graves ; plus d’un commandant de corps y verrait un véritable outrage, une défiance envers l’institution militaire qui ne saurait être tolérée, générant mécaniquement le genre de souci supplémentaire qu’un gouvernement civil à la feuille de route domestique et régionale déjà des plus ardues ne désire pas avoir à gérer.




Les principaux faits reprochés à P. Musharraf – ne pas avoir mis en œuvre un dispositif de sécurité aussi complet que possible lors du rassemblement qui coûta la vie à Benazir Bhutto, à Rawalpindi, à l’automne 2007 – feront l’objet d’âpres discussions et débats. Qu’est-ce qu’un environnement sécuritaire complet, parfait et sûr, veut dire au Pakistan ? Le concept a-t-il seulement un sens ? Au premier semestre 2013, la seule ville de Karachi recense plus de victimes civiles (attentats terroristes ; assassinats) que sur la totalité du territoire afghan sur la même période. Ce n’est pas comme si l’ancien chef de l’Etat avait appuyé lui-même sur la détente ou demandé à un de ses subordonnés de le faire. Ses défenseurs pourront à nouveau argumenter que les effectifs de sécurité auraient certes pu être plus étoffés, le périmètre de sécurité plus étendu, la foule des sympathisants de B. Bhutto contrainte à plus de retenue. 




Sur le fond, P. Musharraf devra probablement répondre de cette insuffisance de moyens déployés, alors que des informations sur une possible atteinte à la vie de l’icône du Pakistan People Party (PPP) courraient depuis quelques temps. Sur la forme, il serait surprenant que la sévérité de la justice s’abatte sur l’individu…


Cette tentative de condamnation peut-elle s’inclure dans la "stratégie de dialogue" que souhaite instaurer M. Sharif avec les talibans, fermement opposés au personnage de M. Musharraf ?



Cette option constitue une piste intéressante à envisager, pourquoi pas. Le nouveau chef de gouvernement rappelait encore ces derniers jours que le pays ne pouvait continuer éternellement à souffrir des décès quotidiens imputés au terrorisme. Tout aussi clairement exposée, sa volonté de tendre la main aux talibans pakistanais et de dialoguer – dans la mesure où ces derniers seraient intéressés par la démarche – pour esquisser une sortie de crise sur le sujet apparait sérieuse, sincère, faisant sens. Cependant, pour l’heure, cette politique de la main tendue, un trimestre après l’entrée en fonction de monsieur Sharif, tarde à trouver un écho du côté des talibans qui, pour leur part, sont demeurés plus actifs ces derniers mois sur le terrain des attentats (plus de 1100 victimes du terrorisme entre juin et mi-août 2013) que des négociations. Sans vraiment surprendre.

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