ANALYSES

Syrie. «Ces tergiversations sont mauvaises pour l’image des Etats-Unis»

Presse
29 août 2013
- Le NouvelObs.com

Après avoir durci le ton, les Etats-Unis temporisent. Barack Obama a expliqué mercredi 28 août dans un entretien télévisé qu’il n’avait encore pris aucune décision quant à une éventuelle intervention en Syrie, et a précisé que d’éventuelles frappes seraient "limitées" et se résumeraient à un "coup de semonce" destiné à convaincre le président syrien Bachar al-Assad de ne pas mener d’assaut aux armes chimiques. Un pas en avant, deux pas en arrière commencent à dire de nombreux observateurs, surpris par ce revirement. Interview de Thomas Snégaroff, directeur de recherche à l’IRIS et chercheur à Sciences Po.


Les déclarations au sommet se multipliaient ces derniers jours, l’opération devait être imminente. Les Etats-Unis semblent finalement vouloir "temporiser". Pourquoi ce rétropédalage ?



– Il doit y avoir sans doute plusieurs raisons. La réticence des Britanniques à agir hors du cadre onusien a refroidit les ambitions américaines. Ensuite, il y a eu les réticences formelles du Congrès américain qui demande des justifications, non pas tellement à propos de l’usage d’armes chimiques par Bachar al-Assad, mais plutôt sur les buts de guerre et les modalités d’action. Barack Obama souffre là du précédent irakien. Puis il y a l’inconnue russe, question qui n’est pas primordiale, mais l’agitation militaire en Méditerranée n’est pas très bon signe. Enfin, l’opinion publique américaine semble aujourd’hui très défavorable à une opération, même pour des frappes aériennes qui n’introduisent pas de risques réels pour les Américains.


Barack Obama a-t-il été surpris par les réticences du Congrès ?



– Il a peut-être été un peu surpris. C’est toujours un peu pareil avec Barack Obama, c’est docteur Jekyll et Mister Hyde. Lui qui avait fait toute sa campagne autour de la notion d’empathie, a du mal à se mettre à la place de l’autre. Ce qui est très paradoxal, c’est que si Barack Obama avait était sénateur, il aurait fait partie de ceux qui réclament aujourd’hui plus de précisions.


 


Barack Obama aurait pu se passer de l’avis du Congrès…



– Oui, de manière tout à fait légal comme il l’a fait pour la Libye. Mais il ne faut pas oublier qu’il est dans un contexte budgétaire tendu et qu’il a besoin de travailler avec le Congrès et de ne pas se le mettre à dos. Les bénéfices politiques apparaîtront plus tard.


Peut-il se passer du soutien populaire ?



– Il en a besoin, il en va de sa crédibilité. Le deuxième mandat c’est aussi pour marquer l’Histoire et donner une cohérence globale à l’ensemble de son action. Il faut convaincre l’opinion publique américaine.




Hier sur PBS, Barack Obama a essayé de trouver un argument : il a estimé que si les Etats-Unis n’intervenaient pas, il y aurait un risque de prolifération de ces armes chimiques qui peuvent tomber dans les mains de terroristes qui s’en serviraient pour attaquer les Etats-Unis. Il a ainsi mis en avant la sécurité nationale, un thème beaucoup plus porteur aussi bien pour l’opinion publique américaine peu portée sur la notion de protection des populations que pour le Congrès.


Ce moment de flottement peut-il lui

nuire ?



– Ces tergiversations sont mauvaises pour l’image de l’Amérique, et pour lui. Cela envoie un signal négatif à l’Iran et à la Russie qui voient l’Amérique comme une nation qui parle plus qu’elle n’agit.




Sur la scène intérieure, il peut apparaitre aussi comme un président faible, d’autant plus qu’il a lui-même tracé la ligne rouge. Il est comme un parent qui menace ses enfants mais qui ne les sanctionnent jamais. Sur les réseaux sociaux, certains se plaignent déjà d’être la risée du monde.


Peut-il retarder l’intervention ?



– Cela peut durer encore quelques jours. Mais comment maintenir la tension dramatique quand on sera deux ou trois semaines après le 21 août ? Les Etats-Unis ne seront plus dans une logique de punition et de sanction immédiate d’une faute morale. Ils entreraient dans une décision politique calculée, ce qui n’était pas vraiment l’esprit qu’on attendait de la coalition et des Etats-Unis.




Et s’il n’intervient pas, il va passer comme un beau parleur amoureux de sa propre voix comme disent de lui les Républicains. Avec l’Iran, avec la Corée du Nord, il a beaucoup parlé mais assez peu agit. Or, le propre d’une puissance c’est sa capacité à agir, sa volonté à agir et ce que les autres vont reconnaitre comme une puissance.

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