ANALYSES

Attention à l’Amérique latine !

Presse
14 octobre 2013
Par Philippe Thureau-Dangin, chercheur associé à l’IRIS

Le continent latino-américain a bien passé la crise de 2008, n’en sentant pour ainsi dire pas les effets. Mais il subit aujourd’hui le contre coup de la conjoncture générale. Et ce ralentissement économique pourrait avoir des conséquences politiques importantes.


D’après le dernier rapport de la Banque mondiale, le taux de croissance du continent sud-américain est passé de 6 % en 2010, son plus haut, à 2,5% en 2013 (estimation) avec de fortes disparités d’un pays à l’autre. Le Brésil, le Venezuela et surtout le Mexique sont en dessous de la moyenne. La plupart des pays latino-américains font baisser leurs monnaies pour maintenir leurs exportations. Dans les années 1990, cette politique de dévaluation plus ou moins compétitive avait conduit à des taux d’inflation non maîtrisés. Il est à craindre qu’il en aille de même demain. Il y a toutefois une différence notable entre les deux époques.


Depuis 20 ans, le niveau de vie du continent s’est beaucoup élevé et on considère que 50 millions de défavorisés ont rejoint les classes moyennes. Mais précisément, depuis deux ans, on voit ces nouvelles classes manifester et occuper bruyamment des places. Etudiants au Chili, usagers des transports au Brésil, professeurs au Mexique… tous aspirent à un Etat plus efficace et craignent surtout que l’avenir soit plus incertain.


Face à ces défis, il y a la tentation chez certaines élites politiques de revenir aux vieilles recettes et aux vieux démons : le populisme, le clientélisme, des systèmes de corruption sur fond de rhétorique anti-étasunienne, etc. Au Mexique notamment, le retour au pouvoir du PEI, le parti qui a dominé le pays durant presque tout le XXe siècle, n’est pas forcément une bonne nouvelle. Président depuis 2012, Enrique Pena Nieto met en coupe réglée les médias – hormis le quotidien La Jornada et un ou deux hebdos – et a de fait passé un accord avec les principaux cartels de la drogue.


En Argentine, Cristina Fernandez vient d’être opérée d’un hématome à la tête et au sein de son parti, le mouvement péroniste, les alliances clientélistes font florès. Au Brésil également, on s’agite autour de la future présidentielle d’octobre 2014. La très populaire écologiste Marina Silva, qui a rejoint le Parti socialiste comme candidate à la vice-présidence, pourrait empêcher la réélection de Dilma Roussef.


Durant les brillantes années 2000, l’Amérique latine a connu – qu’on les aime ou non – quelques personnages d’exception qui structuraient le paysage politique. D’un côté, il y avait Hugo Chavez le Vénézuélien, de l’autre Lula le Brésilien. Tous deux ont quitté la scène. Et Rafael Correa, le président équatorien, ne parvient pas à les remplacer, malgré ses coups de gueule contre les Etats-Unis. D’ailleurs, cette rhétorique anti-étasunienne assez partagée sur le continent, qui n’empêche nullement la poursuite du business, semble ces derniers temps une sorte d’incantation pour occulter les problèmes sociaux et politiques qui se posent à chacun, du nord au sud.

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