ANALYSES

Espionnage américain, la ligne rouge

Presse
29 octobre 2013
Le scandale des écoutes de la NSA en France suscite une série de questions. Est-il acceptable d’espionner un allié ? La lutte contre le terrorisme justifie-t-elle tous les moyens ? On s’aperçoit en effet que sous le couvert de lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis ont recherché des renseignements de nature à aider les entreprises nationales en concurrence sur les marchés internationaux avec des entreprises françaises et européennes. Est-on entre dans une période stratégique différente depuis la fin de la guerre froide où la guerre économique aurait remplacé l’espionnage stratégique ? Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Si l’espionnage des alliés n’est pas nouveau, il n’est pas pour autant acceptable.

II n’y a pas en réalité de véritable rupture. Le renseignement, ou pour parler plus cru – ou plus vrai – l’espionnage concernant les alliés, a toujours existé. Il n’est pas réservé qu’à l’activité des puissances ennemies ou rivales. Cela était déjà le cas pendant la guerre froide. L’alliance stratégique contre l’Union soviétique n’était pas incompatible avec une rivalité économique entre les États-Unis et ses alliés européens et japonais. Les Etats-Unis ont toujours essayé de jouer de leur statut de protecteur pour obtenir des avantages économiques. Et ont toujours essayé de justifier leurs activités d’espionnage par les nécessites d’une bataille stratégique, tout en cherchant à favoriser leurs entreprises au détriment de celles de leurs alliés. Si les Européens veulent se faire respecter par les États-Unis, il faut définir une réaction commune qui aille bien au-delà du communiqué de protestation.

Il y a donc une continuité dans leur comportement, ce qui change c’est l’ampleur de l’activité. Ce sont les nouveaux moyens technologiques mis à leur disposition qui permettent des activités d’espionnage d’une tout autre ampleur. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’efficacité consistant à récolter autant de données par rapport à la nécessite de les trier et de les interpréter. Mais dans la guerre contre le terrorisme comme dans la guerre froide l’alliance ne peut signifier une soumission Nous devons nous défendre contre ces intrusions américaines et lorsqu’ils sont pris la main dans le sac ne pas laisser un sentiment d’impunité qui sera interprété pour de la soumission et un encouragement à poursuivre sur la même voie.

Qu’aurait-on dit si l’on avait appris que des Russes ou des Chinois avaient commis les mêmes activités d’espionnage a l’encontre de nos entreprises, de nos concitoyens ou de nos ambassades que celles que les Américains ont engagées ? La réponse aurait été beaucoup plus vive De même, les protestations auraient été plus virulentes si ces révélations avaient eu lieu sous la présidence de George W. Bush. Obama est un président plus ouvert, plus multilatéraliste. Néanmoins, il reste dans une grande tradition nationale américaine. Leur « Destinée manifeste » leur fait penser qu’ils ont plus de droits que les autres, au nom de l’intérêt supérieur de défense des démocraties qu’ils incarnent. Et qu’ils confondent allègrement avec leur intérêt national.

Les Français, comme les Européens, ont réagi non pas en fonction de la faute commise, mais de l’identité du coupable.

Le comportement américain est symptomatique de la vision qu’ils ont de leur rôle dans le monde et de la relation à entretenir avec les alliés. Ils considèrent que leur système de valeurs leur donne des droits supérieurs aux autres pays, y compris leurs partenaires les plus proches. Ils ont d’ailleurs admis tout à fait ouvertement que ce type d’activités n’était pas nouveau. Dans un mélange de candeur et de cynisme absolu, ils plaident pour la non gravite des faits.

II n’est bien sûr pas question de rompre l’alliance avec les Etats Unis. Nous en avons besoin, y compris dans les échanges de renseignements. mais il faut à tout le moins montrer que nous ne sommes ni dupes ni consentants. Pourquoi la France ne lancerait-elle pas une série de consultations avec les autres pays européens qui ont eux aussi souffert du comportement américain pour envisager quelle réplique lancer ? Quelles lignes rouges tracer ? Ce serait un excellent moyen de faire progresser une politique européenne de sécurité commune qui peine à voir le jour. Si les Européens veulent se faire respecter par les Etats-Unis, mais aussi par l’ensemble des autres puissances qui regardent tout ceci avec intérêt et gourmandise, il faut définir une réaction commune qui aille bien au-delà du communiqué de protestation
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