ANALYSES

En Chine, «Xi Jinping se débat comme un beau diable, mais il a du mal»

Presse
10 novembre 2013

La nouvelle direction du Parti communiste chinois (PCC), réunie en conclave à partir de ce samedi, s’apprête à tracer le cap d’un nouveau train de réformes économiques, tout en gardant les mains libres sur l’ampleur et le calendrier de leur mise en oeuvre. Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), et spécialiste de la Chine, revient sur  ce moment important de la vie politique chinoise.


Les discussions se tiennent à huis clos, et on ne sait pas encore ce qu’il va ressortir de cette réunion. Mais cela fait un an, maintenant, que Xi Jinping a pris la tête du Parti communiste chinois. A-t-il, aujourd’hui, bien en main les rênes du pouvoir ?



C’est un des gros problèmes de Xi Jinping. Il est à la tête du Parti communiste chinois, il est à la tête du gouvernement chinois, il est à la tête de l’armée. Il a trois piliers qui ne s’entendent plus aussi bien qu’ils ne s’entendaient par le passé et il est aussi à la tête de chacun de ces piliers, face à des coalitions d’intérêts qui sont divergentes.


Il est par conséquent obligé d’essayer de réunir tout ça et il a en face de lui des problèmes énormes, qui sont en particulier des problèmes de pollution et des problèmes d’économie. Il a vraiment un système d’équation à beaucoup d’inconnues, très complexe à gérer.


Pour le moment, l’accent est surtout mis sur la lutte contre la corruption. Est-ce un thème fédérateur en Chine ?



En Chine, la lutte contre la corruption est ce qu’il y a de plus consensuel. On peut en parler, tout le monde est à peu près d’accord sur ce point. Les corrompus sont nombreux, mais ceux qui gagnent vraiment leur vie grâce à la corruption sont quand même très minoritaires. Ce moment permet à la fois de fédérer la population et de se débarrasser d’un certain nombre d’adversaires en les accusant d’être corrompus.


Mais les véritables problèmes de la Chine aujourd’hui, dites-vous, c’est d’une part la pollution – parce que l’on atteint des taux record dans une ville comme Pékin -, et bien sûr, la croissance qui ralentit…



Le problème de la croissance vient de ce que la Chine a un modèle économique, depuis quelques années, qui consiste à pédaler le plus vite possible au risque, si l’on s’arrête de pédaler, de tomber. Elle ne réussit pas à créer une consommation intérieure qui gère le fonctionnement du pays. Elle a vraiment ce problème d’être obligée d’opérer une fuite en avant, en sachant que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel.


Et puis il y a cet énorme problème de la pollution. La plupart des dirigeants chinois en sont conscients. Mais si on se bat contre la pollution, ça va coûter cher et ça va surtout coûter à l’industrie. Donc, cela va casser la croissance. Et si la croissance est cassée c’est tout le système qui tombe. Nous sommes dans une espèce de cercle vicieux où Xi Jinping se débat comme un beau diable, mais il a du mal.


La Chine est-elle aujourd’hui un colosse aux pieds d’argile, comme on le lit parfois ?



Cette idée du colosse aux pieds d’argile n’est pas récente. Il semble que ce soit une découverte pour certains depuis quelque temps, mais on sait depuis les années 1990 que la Chine, le développement qui a été voulu par Deng Xiaoping, par le Voyage dans le Sud [épisode de la fin de la vie de Deng Xiaoping, qui a vu l’ancien dignitaire, âgé de 88 ans, opérer un certain nombres de déplacements dans les grandes villes du Sud pour marteler la nécessité de poursuivre les réformes économiques, NDLR] et ses suites, c’est une construction sur du sable. Et cette construction sur du sable, on aurait dû s’apercevoir depuis vingt ans que cela ne peut pas fonctionner indéfiniment.


On avait soulevé l’espoir, au moment de l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, d’une plus grande ouverture du pays, notamment en matière de droits de l’homme. Assiste-t-on à un durcissement du pouvoir, ou la situation s’est-elle au contraire améliorée ?



Je crois que les problèmes de droits de l’homme, ça intéresse beaucoup dans certains quartiers parisiens. Ça n’intéresse pas vraiment les Chinois. C’est très clair – j’y ai été encore la semaine dernière – le problème des Chinois aisés est de profiter de leur aisance financière. Pour les Chinois qui le sont moins, c’est de devenir plus aisés. Le problème de droits de l’homme, de liberté de la presse et autres, ça n’intéresse qu’une toute petite partie des Chinois. Et pourtant, on constate qu’il y a une plus grande liberté de la presse, avec des répressions qui sont plus ou moins visibles.


On a quand même eu 450 militants – avocats ou journalistes – qui ont été arrêtés ou qui ont fait l’objet de mesures d’intimidation depuis le mois d’août dernier…


À l’échelle de la Chine, c’est extrêmement limité. Ce que l’on constate c’est qu’à l’heure actuelle, il y a plus de liberté. On voit plus de choses, on entend plus de choses et on lit plus de choses. En particulier, régulièrement, des instituts font paraître des revendications pour plus


La suite dépendra vraiment du rapport de force entre conservateurs et libéraux, même s’il est indéniable qu’un nombre croissant de dirigeants ont pris conscience des limites du modèle marxiste maoïste. 

 

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