ANALYSES

« Il n’y aura pas de solution militaire au conflit syrien »

Presse
12 décembre 2013

Coup dur pour la rébellion syrienne : Washington et Londres ont annoncé qu’ils ne fourniraient plus d’aide non létale comme des équipements de protection. La décision a été prise à la suite de la prise de dépôts d’armes par les combattants islamistes syriens. Explications avec Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).


Les Anglo-Saxons craignent que leur matériel devienne propriété de groupes jihadistes. Le risque est-il bien réel ?



Evidemment. Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait nouveau comme situation parce qu’il faut comprendre que sur le terrain, nous assistons à une imbrication de moins en moins claire et de plus en plus inextricable entre les différentes composantes de la rébellion. C’est-à-dire que ponctuellement, et c’est ce qui a précédé la décision des Américains et des Britanniques, il y a eu des stocks d’armes qui avaient été envoyés à certaines composantes dites progressistes ou laïques de la rébellion qui sont tombées aux mains de groupes jihadistes radicaux. Car, sur le terrain évidemment, il y a une fluidité extrême, il ne faut pas croire que chaque groupe combat indépendamment les uns des autres. Donc il y a eu un danger dès le départ de livraisons d’armes risquant de tomber aux mains de groupes pas franchement alliés, voire plutôt hostiles, aux puissances occidentales.


De leur côté, les six monarchies du Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Oman, Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Qatar) ont appelé au retrait de toutes les forces étrangères de Syrie. C’est une allusion aux combattants chiites venus notamment du Hezbollah libanais. Cette présence du Hezbollah est-elle aussi un motif d’inquiétude pour les Occidentaux ?



Non, les Occidentaux sur cette question restent évidemment critiques, mais ce n’est pas un motif d’inquiétude parce que, qu’on le veuille ou non, qu’on les apprécie ou pas, les combattants du Hezbollah restent extrêmement disciplinés, restent, dans un cas très politique, à peu près maîtrisés, au-delà des désaccords qu’on peut avoir avec ce groupe.


Par contre, il n’y a aucune possibilité d’avoir des contacts, des discussions politiques, un cadrage politique avec les groupes jihadistes. Donc on ne peut pas faire une sorte de trait d’égalité entre les groupes jihadistes extrémistes qui viennent d’un peu partout, des pays du monde musulman, avec les combattants du Hezbollah qui viennent du Liban et qui sont disciplinés, organisés, qui possèdent une chaîne de commandements. Déjà sur le terrain, on n’est pas dans la même configuration.


Evidemment, les monarchies arabes du Golfe font un petit peu monter la pression. C’est parfaitement dans leur rôle à quelques semaines de l’ouverture de la Conférence de Genève 2, prévue le 22 janvier prochain. Donc on va assister dans les jours et dans les semaines à venir à des manœuvres politico-diplomatiques qui sont tout à fait compréhensibles de la part de toutes les parties en présence, non seulement les monarchies du Golfe, mais aussi les Iraniens, les Russes et bien évidemment les membres du Conseil de sécurité. Donc cette déclaration de la part des monarchies du Golfe sera, à mon avis, peu suivie des faits d’ici Genève 2, mais elle est parfaitement logique.


Vous nous avez dit que le risque est réel, que Washington et Londres avaient des raisons de s’inquiéter. Pourtant, Paris maintient ses livraisons d’aide militaire. Pourquoi la France ne prend pas la même décision que ses partenaires anglo-saxons ?



C’est effectivement un problème. Sur le dossier syrien, la diplomatie française et plus exactement l’exécutif français, est depuis longtemps sur des lignes assez radicales de soutien à la rébellion. On se rappelle que François Hollande, par deux fois, avait évoqué au début de l’année 2013 l’hypothétique livraison d’armes à la rébellion, puis il a reculé à deux reprises. Mais on sent bien que les Français considèrent que leurs alliés traditionnels, Britanniques et Américains, ne sont pas assez engagés dans la lutte et dans le soutien auprès des rebelles.


Aux mois d’août et septembre derniers, il y avait eu des bombardements chimiques, le 21 août précisément. La France était très avancée sur la nécessaire intervention militaire pour, comme disait François Hollande, « punir » le régime de Bachar el-Assad. Puis finalement, la France s’est retrouvée un peu seule, isolée au milieu du gué, lâchée par les Américains qui étaient, pour leur part, tout à leurs préoccupations de conclure un accord, un compromis avec les Russes.


Il y a de nouveau l’expression d’une politique assez radicale de soutien aux rebelles, sans trop de distinctions parce qu’en réalité, sur le terrain, on ne peut pas faire les distinctions comme je l’évoquais précédemment, c’est une des raisons. Et la raison principale qui permet de comprendre les divergences qui existent sur le traitement du dossier syrien entre Britanniques et Américains d’une part, et Français d’autre part.


Si Paris continue sa livraison, est-ce que l’Armée syrienne libre, à laquelle cette aide est officiellement destinée, peut survivre sans l’assistance des Anglo-Saxons ? Est-ce que ça représente une énorme aide de la part de Washington et de Londres ?



Non, ce n’est pas une énorme aide de toute façon. Il s’agit là de la suspension de l’armement non létal aux rebelles, de l’équipement…


Dans tous les cas, il n’y a pas d’armes, on est d’accord ?



Exactement, ou c’est de l’armement léger en tout cas. Les Anglo-Saxons depuis le départ veillent à ne pas livrer d’armement lourd, de l’armement anti-aérien par exemple. C’est l’une des raisons pour lesquelles la rébellion n’arrive pas à s’imposer militairement parce que, ce que l’on constate depuis maintenant quelques semaines, c’est que graduellement et de façon assez méthodique, l’armée restée fidèle au régime de Bachar el-Assad reprend un certain nombre de localités à la fois dans le nord, nord-est et surtout dans le sud de la Syrie, et que militairement les rebelles sont actuellement sur la défensive.


Au cours de l’été 2012, il y a presque un an et demi, ils avaient été à l’offensive et avaient conquis une partie importante non négligeable du territoire syrien. Nous ne sommes plus dans cette configuration depuis la fin du printemps. Au cours de l’été 2013, il y a un recul incontestable. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que de toute façon il n’y aura pas de solution militaire. C’est que tous ceux et toutes celles qui avaient prévu et prédit une chute rapide de Bachar el-Assad se sont finalement trompés. C’est ainsi.


Il faut maintenant véritablement accélérer la préparation politique et diplomatique du sommet de Genève 2. Nul ne considère que la crise syrienne pourra se régler en une réunion à Genève, bien évidemment. Mais il faut véritablement faire porter tous ses efforts sur les aspects politiques et diplomatiques et enfin considérer qu’il n’y aura pas de solution militaire. Cela peut entraîner un drame humain. Il faut l’écourter au mieux. Mais enfin, nous sommes dans cette situation et même s’il y avait un petit peu plus d’armes livrées aux rebelles, je ne crois pas que ça pourrait modifier à ce stade le rapport de forces militaires sur le terrain.

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