ANALYSES

Le léopard reste léopard

Presse
20 janvier 2014
Par Philippe Thureau-Dangin, chercheur associé à l’IRIS

Pour l’économiste prix Nobel Paul Krugman, le “vrai scandale” n’est pas là où l’on croit. Mais plutôt dans le virage politique du président français.


Dix jours après le scoop du magazine Closer, l’affaire continue de faire couler de l’encre à l’étranger. On ne comprendrait rien aux réactions des uns et des autres si on ne rappelle pas les différences culturelles et sociologiques d’un pays à l’autre. On croit les Anglo-Saxons très pudibonds, mais le sexe ne les effarouche guère. C’est le mensonge qui les révulse et qui pousse la presse, tabloids comme “broad sheet”, à dénoncer et enquêter, sans se soucier de ce “respect de la vie privée” si chère aux Français.


Pour commenter l’épisode, l’institut américain Pew publie opportunément  les résultats d’un sondage international réalisé au printemps 2013. A la question, considérez-vous comme moralement inacceptable l’adultère, les Français répondaient en majorité (53%) : non pas du tout ! En revanche 60 % des Allemands, 64% des Italiens, 82% des Etasuniens et 93% des Egyptiens ne peuvent “accepter moralement” l’infidélité… D’ailleurs, lors de la conférence de presse du président le 16 janvier, les journalistes étrangers étaient plus nombreux qu’à l’accoutumée, mais on leur a guère donné la parole – et pour cause –  et ils se sont étonnés par la suite de la pusillanimité de leurs confrères français qui n’ont guère insisté sur le sujet. Et ce sujet, c’est – répétons-le – la trompérie, pas l’aventure en elle-même. A Londres, un David Cameron “aurait déjà écrit sa lettre de démission” signale The Guardian.


Même le Dakkha Tribune, le site le plus dynamique du Bangladesh, le reconnait, tout cela est si français : “fromage, croissant, roses et rencontres secrètes…  Sous un autre drapeau que le bleu-blanc-rouge, ce mélange épicé paraîtrait incongru, voire minable ou abominable”, écrit l’éditorialiste Towheed Feroze. “Plus ça change, plus c’est la même chose,” ajoute fataliste, et en français dans le texte, le New York Times… “Tous les présidents français passent par la case “lit”, hormis le général de Gaulle” !


Enfin, fin de semaine dernière, la vérité est sortie de la bouche de la psychologue new-yorkaise Judy Kouriansky, dont l’article a été largement diffusé par l’agence UPI. Pour cette thérapeute du sexe (sic), la compagne officielle du président “aurait dû voir venir les choses”. Car, n’est-ce pas, “l’histoire se répète”. Même s’il le prétend, “le léopard ne peut effacer ses taches”, ce qui signifie qu’il ne peut changer sa nature… Bref, ce ne sont plus les Français qui sont montrés du doigt, mais les hommes en général, dont le “cerveau est guidé par le désir”…


Si le léopard reste léopard, le social-démocrate reste social-démocrate, à la grande fureur d’un Paul Krugman. Pour cet économiste prix Nobel, le “vrai scandale” n’est pas là où l’on croit. Mais plutôt dans le virage politique du président français. Car lui aussi “épouse une logique d’austérité qui mène à une déflation de type japonais”. Lui aussi croit, comme Jean-Baptiste Say, que l’offre crée sa propre demande (ce qui n’est pas tout à fait vrai dans les histoires d’amour). Une erreur qui sera lourde de conséquences, conclut le kéneysien convaincu qu’est Krugman.

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