ANALYSES

Israël, la bataille de l’opinion publique mondiale

Presse
18 février 2014

Les négociations israélo-palestiniennes conduites sous l’égide de John Kerry, le secrétaire d’État américain, doivent s’achever fin avril. Personne ne croit qu’elles puissent déboucher sur un accord. Les Palestiniens ont accepté de rentrer dans des négociations auxquelles ils ne croyaient pas, uniquement pour ne pas être accusés de les refuser. Les Israéliens, pour leur part, veulent gagner du temps. Ils négocient, non pas pour parvenir à un accord, mais au contraire pour l’éviter. Pendant la négociation, la colonisation continue. Si, officiellement, Benyamin Netanyahou ne revendique pas le « Grand Israël », il fait en sorte que chaque jour qui passe permette le plus grand Israël possible. II a depuis longtemps gagné son épreuve de force avec Barack Obama. Et si ce dernier voulait faire pression sur lui (ce que, manifestement, il n’essaie plus de faire), le Premier ministre israélien compte bien sur le Congrès américain pour l’en empêcher. Mais si, à court terme, cette politique du fait accompli peut être payante, deux évolutions stratégiques majeures en cours pourraient modifier le rapport de force.


La première est la perte du monopole occidental sur la puissance. Les pays occidentaux sont en train de le perdre, du fait de l’émergence d’autres parties du monde. Si le monde n’est pas encore multipolaire, il est en voie de multipolarisation. Or, les pays émergents, du Brésil a l’Afrique du Sud, de la Chine au pays de l’Asean, sont nettement moins favorables a Israël que ne le sont les pays occidentaux. La protection accordée par les États-Unis a permis pendant très longtemps a Israël de ne pas respecter le droit international. Cette situation est en train de changer. II faudra cependant encore plusieurs années pour que cela ait des effets concrets sur le conflit israélo-palestinien.


Mais il est une autre évolution stratégique dont les conséquences sont beaucoup plus rapides et tout aussi puissantes. C’est la montée en puissance des opinions publiques dans la détermination des politiques étrangères. Partout dans le monde, des sociétés civiles se forment et pèsent sur le pouvoir. Les gouvernements, sauf peut-être en Corée du Nord, ont perdu le monopole qu’ils exerçaient sur l’information. Les citoyens se mobilisent pour des causes qu’ils pensent justes et font pression sur leur gouvernement pour qu’il les prenne en compte. Or, partout dans le monde, et notamment parmi la jeunesse, l’occupation israélienne est impopulaire. L’occupation d’un peuple par un autre et la répression que cela entraîne automatiquement n’est plus acceptable au XXIème siècle. C’est devenu une anomalie historique. La campagne « Boycott, désinvestissements, sanctions » (BDS) lancée dans les pays occidentaux, qui prend de plus en plus d’ampleur, commence à avoir des effets sur l’économie israélienne. Récemment, John Kerry a déclaré que la campagne lancée contre Israël commençait à avoir ses effets et que le statu quo n’était plus possible. II ne faisait que décrire une situation en cours. Les dirigeants israéliens l’ont vertement critiqué, comme s’il l’avait préconisé. Pourtant, le ministre des finances israélien, Yaïr Lapid avait, quelque peu auparavant, dit la même chose, en s’inquiétant des effets négatifs pour l’économie israélienne de la campagne en cours.


L’Union européenne, si timide ces dernières années, a décidé d’interdire tout financement et toute coopération à quiconque réside dans les colonies israéliennes. Un parallèle avec la campagne de boycott de l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid est de plus en plus évoqué, ce qui est dévastateur pour Israël sur le plan moral et de l’image. Alors que la mort de Nelson Mandela a été saluée dans le monde entier, le parallèle entre le sort réservé aux Palestiniens et la politique d’apartheid en Afrique du Sud, pour n’être pas comparable sur le plan juridique, est de plus en plus souvent fait. Les changements stratégiques globaux des rapports de force entre États sont des révolutions relativement lentes Les mouvements d’opinion publique sont, eux, très rapides. II n’est pas certain que les dirigeants israéliens actuels aient pris la mesure du phénomène.


Les milieux économiques, par réalisme politique, pourraient à l’avenir faire entendre des arguments qui rejoignent ceux du camp de la paix. La solution des deux Etats est encore possible. Alors que la communauté internationale représentée par les États est impuissante depuis des décennies sur le sujet, la pression des populations pourrait avoir un impact déterminant pour y parvenir

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