ANALYSES

Venezuela: «situation économique» et «insécurité» causes de la crise

Presse
26 février 2014

Après plusieurs semaines de contestation antigouvernementale, l’heure est au dialogue national. Des discussions proposées par le président Nicolas Maduro, aujourd’hui décrié. Jean-Jacques Kourliandsky est chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) en charge de l’Amérique latine. Il répond aux questions de RFI.


Tout d’abord, quels sont les facteurs qui font qu’aujourd’hui le Venezuela se trouve dans une telle situation de crise ?



C’est une situation qui remonte loin et qui relève de deux facteurs essentiels. D’abord, de la dégradation de la situation économique. Le Venezuela sera d’ailleurs en croissance négative cette année et l’année dernière ça a été le pays qui a connu l’inflation la plus élevée du continent américain avec 56% : des problèmes de pénurie, des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement des magasins de produits de première nécessité. Donc la population en général est mécontente. Le deuxième élément, c’est l’insécurité : le Venezuela est également l’un des pays d’Amérique latine, et celui en tous les cas d’Amérique du Sud, où l’insécurité est la plus grande. Et il y a eu un fait divers qui a profondément marqué les Vénézuéliens au début de cette année, qui est l’assassinat d’une ancienne Miss Venezuela. Quand on sait l’importance sociale qu’a l’élection des Miss au Venezuela, cet événement a eu un impact symbolique particulièrement fort. A partir de ces deux éléments là, il y a eu un début de protestation, des manifestations étudiantes auxquelles se sont joints les partis d’opposition.


Vous parliez des étudiants, quel rôle jouent-ils exactement ?



Ça a été l’élément déclencheur. Ce sont des jeunes, des étudiants qui sont sortis pour protester dans la rue, d’abord contre des problèmes d’insécurité dans les universités. Ensuite ils ont ajouté à leurs revendications des questions d’ordre économique. L’opposition vénézuélienne le 10 février a décidé de rejoindre les étudiants et d’appuyer leurs revendications, en y ajoutant un élément supplémentaire qui est celui de renverser, de pousser le président Maduro à la démission.


Est-ce que ces insatisfactions économiques touchent l’ensemble des couches de la population vénézuélienne ou bien est-ce un mouvement qui est l’apanage des plus vulnérables ?



Toute la population est concernée dans la mesure où il y a une pénurie. C’est une pénurie collective et, le paradoxe, c’est qu’effectivement il y a beaucoup de Vénézuéliens qui ont des moyens, de l’argent, mais qui n’ont pas la possibilité de transformer l’argent qu’ils détiennent en riz, en sucre, en farine parce qu’il n’y a pratiquement rien dans les magasins et que les chaînes d’approvisionnement sont rompues. L’inflation effectivement frappe tout le monde, peut-être un peu plus les plus défavorisés. Mais effectivement dans la mesure où les catégories les plus pauvres sont aidées par les autorités qui ont multiplié les plans sociaux depuis l’arrivée au pouvoir en janvier 1999 du prédécesseur de Nicolas Maduro, Hugo Chavez, ceux que l’on retrouve dans la rue sont ceux qui ne bénéficient pas de ces plans qui sont effectivement davantage les populations originaires des classes moyennes et supérieures.


Il y a un autre facteur de cette crise. Les contestataires dénoncent également le poids cubain dans le pays. Qu’en est-il ?



Non, ça c’est un argument récurrent depuis l’arrivée au pouvoir du président Chavez et les relations particulières qu’il a établies avec les autorités cubaines. A chaque élection, ce sont plutôt des thèmes qui ne sont pas au centre des revendications actuelles, mais qui sont des thèmes mis en avant par l’opposition à chaque élection. L’opposition dit donc que premièrement, les relations avec Cuba nous orientent vers un régime totalitaire, communiste, sans liberté, et deuxièmement nous coûtent très cher dans la mesure où le Venezuela vend son pétrole aux autorités cubaines à des prix qui ne correspondent pas à ceux qu’il pourrait tirer d’une vente du baril au prix du marché mondial. Mais ce n’est pas vraiment l’argument qui est au cœur des revendications et des débats aujourd’hui.


Depuis plusieurs semaines, des contestataires, l’opposition est dans la rue. Est-ce que Nicolas Maduro fait autant que ça l’unanimité aussi au sein de son propre camp ?



C’est un des éléments indirect assez intéressant de ce qui se passe en ce moment. Il y a effectivement des divisions au sein du camp majoritaire officiel sur la façon de gérer la crise comme il y en a d’ailleurs au sein de l’opposition sur la façon de gérer la contestation. L’issue de cette crise permettra de vérifier non seulement quel est l’état du rapport de force entre l’opposition et le gouvernement, mais aussi quel est le secteur qui sort gagnant de cette crise tant du côté du gouvernement que du côté de l’opposition.


Ca veut dire que l’on n’est plus dans une contestation formelle avec un camp d’opposition comme du temps de Hugo Chavez ?



De fait, chacun s’efforce de parler de façon collective de façon à rassembler son camp. Mais ce qu’on constate, c’est qu’en réalité, derrière la façade, derrière les mots, il y a des stratégies assez différentes : du côté du gouvernement, il y a ceux qui sont partisans du dialogue et ceux qui sont partisans de la ligne dure ; et du côté de l’opposition, il y a également ceux qui sont partisans d’aller au dialogue et ceux au contraire, qui sont partisans de la guerre de rue.


« Le Venezuela n’est pas l’Ukraine », a déclaré Nicolas Maduro. Derrière ce message, est-ce qu’il y a une réelle crainte de voir le scénario ukrainien s’appliquer au Venezuela ?



Il y a une conjonction dans le temps qui fait que sur les écrans de télévision, on voit les événements de l’Ukraine et on voit les événements du Venezuela, mais effectivement le Venezuela est un pays qui est assez unifié d’un point de vue religieux et linguistique, à la différence de l’Ukraine. C’est un pays pétrolier, ce que n’est pas l’Ukraine. C’est un pays qui n’a pas appartenu à un ensemble comme celui de l’Union soviétique, qui n’a pas eu à conquérir son indépendance. Donc on se trouve face à des réalités qui sont totalement différentes. Ce n’est pas simplement le président Maduro qui signale qu’il y a des réalités différentes, ce sont les situations qui, de fait, sont différentes et qui appellent des examens, des analyses correspondant à chacune des situations.


 

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