ANALYSES

Sébastopol : une base navale russe clé en Ukraine

Presse
28 février 2014

La base de Sébastopol, ville d’Ukraine située dans le sud-ouest de la Crimée, sera-t-elle le lieu d’un nouveau siège, cent soixante ans après la guerre de Crimée, qui commença le 27 mars 1854 ? Probablement non, mais les tensions entre le nouveau pouvoir ukrainien, les russophones de Crimée et plus généralement l’est de l’Ukraine, et Moscou, en font un point d’appui pour les menées de la politique russe.

Sébastopol abrite la flotte russe, puis soviétique, de la mer Noire depuis que la ville a été fondée par l’impératrice Catherine II à la fin du XVIIIe siècle. Pendant la campagne de Russie, qui commence en juin 1941, « le siège de la ville est l’un des plus longs et des plus cruels de la seconde guerre mondiale. A sa libération, Sébastopol obtient le titre de "ville héros" et accède au panthéon de la Grande Guerre patriotique en devenant l’égale de Stalingrad ou Leningrad. »


1997 : LE PARTAGE ENTRE L’UKRAINE ET LA RUSSIE




A la suite de l’éclatement de l’Union soviétique en 1991, qui voit la naissance d’un Etat ukrainien souverain, une partie de la flotte dépendant de la marine soviétique conduit à la formation de la nouvelle marine ukrainienne. Le 28 mai 1997, un accord avec la Russie partage la flotte de la mer Noire : l’Ukraine obtient 17 % de la flotte (soit 80 navires), et la Russie 83 % (soit 338 navires).


L’ancienne flotte soviétique de la mer Noire ainsi que toutes les installations ont été divisées entre la flotte russe de la mer Noire et la marine ukrainienne. Ainsi, deux forces marines partagent quelques-uns des ports et quais le long des côtes de Sébastopol et de sa région, tandis que certaines zones sont démilitarisées ou contrôlées par une seule nation. Sébastopol demeure le quartier général tant de la Flotte russe de la mer Noire que celui de la marine ukrainienne.


Selon le traité de 1997, la base navale de la marine russe reste à Sébastopol, grâce à un bail de vingt ans signé entre les deux parties, qui court jusqu’à 2017. Ce traité suit une longue discussion. Au tout début, Moscou refusa de reconnaître la souveraineté ukrainienne sur Sébastopol ainsi que sur toute la région environnante de Crimée. Mais finalement, l’appartenance de Sébastopol à l’Ukraine sera confirmée.


2010 : LA BASE CONTRE LE GAZ




Treize ans plus tard, de nouveaux accords renforcent la position russe. La signature des accords le 21 avril 2010 entre la Russie et l’Ukraine concernant le bail de la flotte russe de mer Noire à Sébastopol règle les nouvelles conditions de l’utilisation de cette base stratégique. Outre 8 millions de dollars de loyer annuel payés à l’Ukraine depuis 1997, la Russie est censée pratiquer à l’égard de Kiev un tarif préférentiel de fourniture de gaz correspondant à une réduction de 30 % du prix normal de livraison.


Kiev bénéficiera d’une ristourne sur le prix du gaz russe, qui pourra atteindre 100 dollars pour 1 000 mètres cubes. Ce qui, par la suite, n’empêchera pas Moscou de faire pression sur Kiev en menaçant de couper les exportations de gaz russe vers et via l’Ukraine.


La flotte russe a pu aussi prolonger son bail à Sébastopol au-delà de l’échéance de 2017 « moyennant le versement par l’armée russe, à la ville de Sébastopol, d’une rente annuelle de 100 millions de dollars [74 millions d’euros]. Désormais, les navires ruses sont assurés de pouvoir rester jusqu’en? 2042, avec une option d’extension jusqu’en 2047 », souligne le Figaro.


Au total, la marine russe a 15 000 militaires stationnés dans la base de Crimée, selon un accord avec le gouvernement ukrainien qui permet de stationner jusqu’à 25 000 militaires dans la région. Le nombre a augmenté depuis 2008. Pour Moscou, « le port ukrainien est un élément-clé pour la puissance navale russe », note le Financial Times.


Durant la guerre russo-géorgienne de l’été 2008, « la base russe de Sébastopol s’était révélée stratégique lorsque la flotte russe a organisé des blocus dans la mer Noire et l’a utilisée pour lancer des débarquements amphibies. Il a également prouvé son utilité à la Russie dans la crise libyenne, les missions antipiraterie dans l’océan Indien et le rôle de Moscou dans le démantèlement des armes chimiques de la Syrie », indique le FT.


La citadelle navale offre un port à huit baies en eaux profondes, meilleur que le port russe proche de la ville de Novorossisk. L’intérêt pour la Russie est également symbolique, souligne Le Figaro : « Il permet de continuer à faire flotter à Sébastopol le drapeau russe. » « Outre le siège de la flotte de la mer Noire, Moscou dispose, dans cette ville de 380 000 habitants et à 70 % russophone, d’un centre de communications, d’un hôpital militaire et de deux régiments (infanterie de marine et aérien). »


« Symbole historique de modernité impériale et d’héroïsme militaire, Sébastopol constitue aujourd’hui un enjeu majeur pour la Fédération de Russie. Bien plus qu’un simple accord militaire, le renouvellement du bail russe sur la base navale s’expliquerait par la volonté de Moscou de mettre en valeur les minorités russophones de l’étranger dans une perspective d’influence. En effet, les liens profonds qui unissent Sébastopol à sa garnison montrent l’existence d’une identité locale particulière qui illustre les aspirations géopolitiques de la Russie contemporaine », soulignait la revue de géopolitique Hérodote, dans un numéro de 2010. Quatre ans après, les événements en Crimée pourraient confirmer cette analyse.

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