ANALYSES

Avec Rohani, l’Iran jouerait-il toujours la carte du terrorisme ?

Presse
12 mars 2014

Dans l’affaire de l’avion de Malaysia Airlines disparu dans la nuit du vendredi 7 au samedi 8 mars, l’annonce par la police que l’un des deux passagers voyageant à bord avec des passeports volés était iranien avait suscité des rumeurs et des craintes d’un attentat. Mardi 11 mars, la police malaisienne a finalement estimé que l’hypothèse de l’immigration clandestine était la plus probable pour expliquer le vol d’identité. Pourquoi l’Iran est-il presque toujours associé à une menace terroriste ? Cette peur est-elle fondée ? Éléments de réponse avec Thierry Coville, chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), spécialiste de l’Iran.


Pourquoi l’Iran est très souvent montré du doigt en cas d’attaque terroriste ou de soupçon d’attentat ?



Ce n’est absolument pas nouveau. On sait que l’Iran soutient le Hezbollah et le Hamas depuis de nombreuses années. Cela étant, Téhéran est diabolisé et accusé de tous les maux au Moyen-Orient, notamment par Israël et l’Arabie saoudite. Je pense que ce discours est de moins en moins crédible dans la mesure où la menace actuelle vient surtout des groupes salafistes.


Le salafisme est un courant extrémiste sunnite qui a envoyé un certain nombre de ses membres se battre en Syrie et en Irak. Ces groupes sont notamment engagés dans une guerre sainte contre le régime de Bachar el Assad et le gouvernement irakien. Ces djihadistes estiment donc que les allouites (proches des chiites) et le Hezbollah libanais chiite, qui soutiennent le régime syrien, ainsi que les chiites irakiens, sont des ennemis politiques et religieux.


Or, l’Iran est composé de chiites à 90% et a dû notamment faire face ces dernières années à des attentats perpétrés par un groupe sunnite extrémiste (Jundullah) dans le sud-est du pays. Le mois dernier, l’ambassade d’Iran a d’ailleurs été la cible de djihadistes sunnites à Beyrouth (Liban), qui ont commis un double attentat-suicide ayant fait six morts.


Les Etats-Unis ont conscience de cette réalité, ce qui est un des facteurs expliquant leur début de dialogue avec l’Iran. Attention, je ne suis absolument pas en train de dire que l’Iran n’a rien à se reprocher. Simplement, faire peser toutes les responsabilités des tensions au Moyen-Orient sur Téhéran, c’est oublier que la situation régionale est bien plus complexe que cela.


Comment expliquer que l’Iran fasse presque automatiquement figure de coupable idéal ?



Je pense que l’histoire du pays explique en partie cette suspicion permanente. Après la révolution de 1979, Khomeiny a cherché à exporter sa révolution islamique dans d’autres pays musulmans au Moyen-Orient. A l’issue de la guerre Iran-Irak (1980/1988), cette stratégie a été abandonnée. Toutefois, la méfiance par rapport au pouvoir iranien reste sans doute forte dans un certain nombre de pays arabes.


Par ailleurs, le Hezbollah libanais chiite a été créé en réaction à l’invasion israélienne du Liban en 1982, en s’appuyant sur des financements iraniens. L’Iran et le Hezbollah n’ont pas une relation de maître à élève mais sont historiquement liés. De ce point de vue-là, Israël considère Téhéran comme une menace.


Dans quelle mesure certains pays voisins de l’Iran participent-ils à cette stratégie de « diabolisation » ?



Les régimes sunnites essayent de faire croire que l’Iran est en train d’acquérir une position hégémonique au Moyen-Orient. Le gouvernement chiite irakien entretient effectivement de bonnes relations avec Téhéran. C’est la raison pour laquelle l’Arabie saoudite et les pétromonarchies du Golfe, à majorité sunnite, parlent d’un « arc chiite » et affirment que l’Iran est un train de développer son emprise régionale. Je dirais que l’Iran est plus dans une logique d’influence que de domination. Et les chiites étant minoritaires au Moyen-Orient, Téhéran ne pourra jamais assujettir ses voisins.


En outre, il faut faire attention à la politique d’instrumentalisation des différences religieuses chiites-sunnites. En 2011, la majorité chiite du Bahrein s’est soulevée pour protester contre la corruption de la famille régnante, qui est sunnite. Le gouvernement a demandé l’intervention de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis qui ont envoyé l’armée pour réprimer ces manifestations pacifistes. Comme il s’agissait de protestataires chiites, l’Arabie saoudite a affirmé qu’il s’agissait d’une tentative de l’Iran pour déstabiliser le Bahrein.


Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite soutient des groupes salafistes en Syrie et en Irak, pour affaiblir l’Iran. Or, ces groupes pensent que les chiites sont les nouveaux ennemis de leur guerre sainte. Cette instrumentalisation est donc dangereuse.


Le pouvoir iranien est parfois accusé de jouer un double jeu. Qu’en est-il ?



S’agissant de Rohani, je crois que ces accusations sont fausses. Il existe un gouffre entre la politique défendue par l’actuel président iranien et celle menée par Ahmadinejad. On a tendance, à tort, à minimiser cette différence et à mettre tous les dirigeants iraniens dans un même panier. Cela participe à la stratégie de diabolisation dont je parlais au début.


Il est certain que le pouvoir iranien est divisé entre les modérés et les ultra-radicaux, favorables à une ligne dure vis-à-vis d’Israël. Par le passé, les radicaux ont mené des actions à l’extérieur de l’Iran pour déstabiliser et compliquer la politique intérieure des modérés. Il n’est pas impossible de voir un tel scénario se reproduire.


 

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