ANALYSES

Afghanistan : une élection présidentielle sous tension(s)

Presse
4 avril 2014
La campagne de terreur menée par les talibans avant la campagne présidentielle a-t-elle été sans précédent ?



Non, car ils ont également essayé de perturber les élections de 2009. Mais, c’est vrai que cette fois-ci, leurs opérations sont beaucoup plus spectaculaires. Ils avaient menacé de perturber le déroulement de ce scrutin et l’ont fait parce qu’ils sont contre ces élections. Ils ne reconnaissent pas le régime actuel, alors ils s’y opposent par tous les moyens.


Cette fois-ci, les opérations ont été perpétrées à Kaboul, lieu très stratégique et symbolique où sont situés la Commission électorale indépendante (cible d’attaques terroristes, ndlr) ou le ministère de l’Intérieur.


Avec ces opérations très spectaculaires, les talibans donnent l’impression à l’occident et à l’Europe qu’ils sont puissants. C’est vrai qu’ils peuvent commettre des attentats, mais en même temps, ils n’ont pas les moyens de perturber le scrutin au point d’annuler les élections.


Cependant, un peu plus de 10% des bureaux de vote, soit 742 (sur plus de 6000 bureaux de vote dans le pays, ndlr), resteront fermés dans le sud et dans l’est, où les talibans sont en mesure de perturber la tenue du scrutin. Mais dans le reste du pays, notamment dans l’ouest, le centre et le nord, les trois favoris – Zalmai Rassoul, Abdullah Abdullah et Ashraf Ghani  – ont tous réussi à rassembler des milliers de personnes dans leurs meetings.


Avec le départ progressif des troupes étrangères du pays, les talibans ont-ils retrouvé une puissance de frappe et vu grossir leurs rangs ?



Avec la perspective du retrait total des forces étrangères, la politique du président afghan sortant a changé. Il a essayé de négocier avec les talibans, et pour cela, il a commencé à leur donner des gages : il a pris une posture antiaméricaine allant jusqu’à qualifier la présence des troupes américaines "d’occupation" ; et il leur a demandé d’arrêter leurs opérations pour signifier que les talibans ne sont pas des ennemis, mais des frères mécontents.


Hamid Karzaï a tout fait pour donner des gages aux talibans et les convaincre de négocier avec lui. Or les talibans attendent la fin de 2014 et le départ des soldats étrangers. Si jamais il n’y a pas d’accord entre les Américains et les Afghans sur la présence future des troupes américaines dans le cadre d’un accord bilatéral, alors il y a un vrai danger de déstabilisation du pays. Mais en même temps, les talibans ne sont pas capables de chasser le régime actuel par des moyens militaires. Par contre, ils peuvent commettre des attentats entraînant une insécurité dans le pays.


Quel est l’enjeu de cet accord bilatéral de sécurité  entre l’Afghanistan et les États-Unis ?



Les États-Unis veulent finir le travail, parce que c’est vrai qu’ils ont échoué sur le plan militaire à vaincre les talibans. En même temps, s’ils laissent l’Afghanistan comme ça, il y a un risque que les organisations de type Al-Qaida – puissantes dans les zones frontalières entre l’Afghanistan et le Pakistan – reviennent dans le pays et que les talibans retournent en force. S’ils ne parviennent pas à prendre le pouvoir à Kaboul, ils pourraient s’installer durablement dans une moitié est de l’Afghanistan et dans le sud. Le pays sera transformé à nouveau en base d’Al-Qaida. C’est le souci des Américains qui, aujourd’hui, regardent davantage, en terme stratégique, vers l’Asie pacifique.


Ils ont fait de l’Inde leur partenaire stratégique, et essayent de contenir la puissance chinoise. C’est la raison pour laquelle l’Afghanistan et le Pakistan constituent la marche vers l’Asie, car le pays est frontalier avec le Pakistan, la Chine, les républiques d’Asie centrale, et qu’il est non loin de la Russie. L’Afghanistan représente donc une importance pour la stratégie globale des Américains. C’est la raison pour laquelle ils voulaient négocier avec les Afghans.


Tout a été mis en place. Même la grande assemblée afghane qui regroupe l’Assemblée et le Sénat a validé cet accord. Mais c’est Hamid Karzaï qui a refusé de signer, de manière tout à faire personnelle, pour se donner une image patriotique à la fin de son mandat, et parce qu’il est assez proche des talibans. Avant 2001, il était quand même secrétaire d’Etat dans le régime des talibans. Je pense que le prochain président, quel qu’il soit, surtout si c’est Abdullah Abdullah, signera très rapidement cet accord bilatéral.


Cela signifie-t-il que l’Afghanistan ne peut pas fonctionner sans une présence militaire étrangère ?



Évidemment. Un exemple : le budget de l’État afghan s’élève à un peu moins de 4 milliards de dollars par an, car le pays n’a pas beaucoup de revenus. Les États-Unis dépensent deux fois plus, rien que pour l’armée et les forces de l’ordre afghanes, leur entretien, leur formation, leur fonctionnement. Si jamais les Américains arrêtent leur soutien, comment font les Afghans ?


Cela signifie-t-il a contrario que les forces américaines et de l’OTAN n’ont pas été assez efficaces ?



Le problème est que cette guerre contre les talibans, cette intervention en Afghanistan a été mal réalisée. Les Américains, et ensuite l’OTAN (à partir de 2004), ne pouvaient pas gagner uniquement sur le plan militaire. C’était une évidence du fait de la particularité sociale, ethnique, culturelle de cette guerre.


Barack Obama en a pris conscience. En 2009, il a changé de stratégie avec l’envoi de 30 000 soldats de plus pour sécuriser des zones. Mais finalement, rien n’a changé. Dans leurs zones d’influence, les talibans restent très forts, soutenus par leurs frères : les talibans pakistanais et l’armée pakistanaise. Et ils sont financés par les pays du Golfe.


Finalement, les États-Unis et leurs alliés ont donc décidé de se retirer d’Afghanistan et de changer la solution militaire en solution politique. C’est la raison pour laquelle les États-Unis ont ouvert un bureau au Qatar pour négocier avec les talibans.


Mais ces négociations n’ont rien donné parce que le gouvernement de Kaboul s’est fâché contre les Américains qui voulait négocier. Or les talibans qui commettent des attentats refusent de négocier avec un régime fantoche.


Et pourtant, une importante partie des talibans négocie aussi avec Kaboul. Il y a même d’anciens ministres des talibans qui officient aujourd’hui au gouvernement.


Les Américains veulent rester en Afghanistan pour assurer la sécurité du régime et donner un coup de main aux négociations entre les talibans et le régime de Kaboul, afin de parvenir à la fin de cette guerre.


Comment peuvent se dérouler les élections cette année après les reproches de fraude en 2009 ?



Hamid Karazaï voulait faire aussi pression sur les Américains pour que la communauté internationale ne se mêle pas des élections. Il y a des observateurs afghans, mais il n’y a plus d’observateurs étrangers.


Ce scrutin peut-il alors être un test démocratique ?



Oui, car cette fois-ci, il existe une vraie campagne électorale. C’est extrêmement positif. Ceux qui ne sont pas dans les zones de pression des talibans participent à la campagne. Les Afghans veulent la paix et ils ont pris l’habitude de voter. De là à dire qu’il y a une démocratie de type occidental, non. Il y a des élections et c’est un début important pour un pays où, auparavant, il n’existait pas de scrutin. Aujourd’hui, ils ont pris goût à voter. Il y a des queues devant les bureaux pour obtenir une carte électorale, dans un pays où près de 80% de la population est encore analphabète.


Il y a deux enjeux de ce scrutin : la tenue des élections en dépit des attentats et la fraude. On ne pourra pas empêcher l’achat de voix, les fraudes de la part de tous les candidats. Si elle est massive, notamment au deuxième tour, comme en 2009, il y a un risque d’instabilité, de crise politique qui pourrait déboucher sur un conflit armé. Mais si le vote se déroule plus ou moins correctement, c’est une étape importante qui aura été franchie. Le prochain président élu à l’issue d’un vote suffisamment transparent aura la légitimité que le président sortant n’avait pas. Il aura donc plus de pouvoir.

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