ANALYSES

« Un enjeu stratégique et médiatique »

Presse
12 juin 2014
Comment expliquer que le football engendre un tel engouement planétaire ?



Parce que c’est le sport le plus simple à comprendre et à jouer, tout le monde peut le pratiquer quelles que soient les caractéristiques physiques. On peut dire qu’entre Messi et Ibrahimovic ce n’est pas du tout le même physique, et pourtant ce sont tous les deux d’excellents joueurs. Les règles sont simples, mise à part celle du hors-jeu, pas besoin d’équipement spécifique, on peut jouer en posant simplement deux tee-shirts par terre pour faire des buts. Tout ceci explique que, parti d’Angleterre, le football est venu conquérir le monde, et est aujourd’hui le sport le plus populaire.


Il a conquis le monde, sauf peut-être la première puissance, les Etats-Unis…



Ce n’est plus tout à fait vrai. L’équipe américaine est qualifiée pour la 6e fois consécutive, le «soccer», comme on l’appelle là-bas, se développe beaucoup chez les teenagers et les femmes. Et, si les migrants européens à l’origine ont abandonné leurs sports pour adopter les sports locaux (baseball, basket, football américain), les «chicanos», eux, gardent le foot. On peut dire que les deux seules terres encore un peu rétives, sont l’Inde et le Pakistan.


La passion footballistique ne risque-t-elle pas un jour de s’échouer sur le récif de la contestation sociale ?



On peut se demander à partir de quand le football, qui a conquis le monde, verra son imperium contesté. Aucun empire n’est éternel. La différence entre l’empire du foot et les autres qu’on étudie sur le plan stratégique, c’est que la conquête du foot s’est faite de façon pacifique, plutôt dans l’enthousiasme. Ce qui pourrait le remettre en cause, plus que la contestation sociale, c’est s’il y avait un doute sur l’intégrité des compétitions, sur la glorieuse incertitude du sport. Les paris truqués, ou le dopage, sont des menaces réelles pour le football. On peut dire aussi que, par rapport aux mises en accusations de la Fifa, plus de transparence de la part de cet organisme serait la bienvenue. Car plus on est visible, plus on doit rendre des comptes, et la Fifa est bien plus visible qu’il y a 20 ou 30 ans, mais elle garde un mode de fonctionnement de cette époque.


Justement, l’attribution du Mondial au Qatar ne va-t-elle pas nous faire atteindre la limite dont vous parlez ?



Pour l’instant les accusations de corruption sont portées sur un membre, qui voulait être président de la Fifa, et pas sur le comité d’organisation de la Coupe du Monde au Qatar. Attendons l’enquête, s’il est prouvé qu’il y a eu corruption sur le choix d’attribution, celui-ci sera remis en cause. Ce n’est pas la première fois, il faut se rappeler que l’Afrique du Sud aurait dû recevoir le Mondial en 2006, et que une voix a changé au dernier moment, sur 24, et on a pensé que cette voix n’avait pas changé gratuitement… Le but de la Fifa est de conquérir le monde, et dès qu’il y a un pays nouveau, il y a des interrogations du genre : pourquoi aller dans des pays sans tradition footballistique établie ? Après le Qatar, on peut penser que celui de 2026 ou 2030 sera attribué à la Chine. Ça peut se concevoir d’un point de vue universaliste du football.


Le foot et le Mondial peuvent-ils avoir un réel impact géopolitique ?



Il ne faut pas compter sur le foot pour amener la paix entre les deux Corées, ou Israël et la Palestine, mais le football a un enjeu médiatique et stratégique. Pourquoi y a-t-il autant de manifestations au Brésil ? Parce qu’elles sont plus visibles à travers le Mondial. Pourquoi parle-t-on des ouvriers immigrés au Qatar, et pas de ceux en Arabie Saoudite dont la condition n’est pas meilleure ? Le football est une caisse de résonance, c’est un instrument dont on peut se servir pour avoir une fenêtre d’ouverture sur l’autre, mais ce n’est pas une panacée qui permet de réduire les oppositions.


 

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