ANALYSES

Paris doit se montrer plus sévère envers Israël

Presse
16 juillet 2014

L’opération « Bordure protectrice » et les tirs de roquettes sur le territoire israélien depuis Gaza créent une situation explosive au Proche-Orient. Mais l’escalade a aussi des répercussions en France, où des synagogues ont été attaquées à la fin d’une manifestation de soutien aux Palestiniens. Comment éviter la contagion?


L’unanimité occidentale qui a accueilli la énième opération militaire israélienne à Gaza a conforté l’impunité de facto dont jouit l’Etat d’Israël. D’emblée, un soutien inconditionnel s’est exprimé, de Washington à Berlin, en passant par Paris, qui a manifesté sa « solidarité » au gouvernement israélien en l’habilitant à « prendre toutes les mesures pour protéger sa population ». Qu’importent l’amplitude ou la disproportion de la riposte, le respect du droit international, les dizaines de civils palestiniens victimes des bombardements aériens ?


Les critiques exprimées à gauche, les victimes palestiniennes et la perspective d’une offensive terrestre de l’armée israélienne sur Gaza ont suscité un rééquilibrage de la position française, appelant désormais à un cessez-le-feu et à la « retenue ». Reste que le caractère partiel et partial du communiqué élyséen du 9 juillet fera date. Si la condamnation des tirs de roquettes du Hamas allait de soi, au nom du principe de légitime défense, elle devait être complétée par un rappel du droit international appelant à une riposte proportionnée au nom de la protection des civils. Cette omission volontaire a été interprétée comme un aval en forme de carte blanche donnée au gouvernement israélien.


L’expression de cette indignation sélective a traduit la tentation chez François Hollande d’infléchir notre traditionnelle ligne gaullo-mitterrandienne – une solution prônant deux Etats sur la base de négociations garantissant la sécurité (et donc l’existence) d’Israël et rendant justice au peuple palestinien. Lors de sa visite en Israël en novembre 2013, M. Hollande déclarait qu’il trouverait toujours « un chant d’amour pour Israël et pour ses dirigeants »… Pourtant, l’actuel gouvernement israélien n’est autre que l’émanation d’une droite nationaliste dirigée par un acteur essentiel de l’échec du processus de paix, un partisan de la poursuite de la colonisation : Benyamin Nétanyahou.


Au-delà de la relation historique qui lie l’Etat d’Israël et le Parti socialiste français, le rapprochement diplomatique engagé par M. Hollande tient à des considérations internes et à sa volonté de démontrer que « la France n’est pas une nation antisémite » (pour reprendre le titre de la récente tribune publiée dans le New York Times et cosignée par MM. Fabius et Cazeneuve), et apporter ainsi des gages à une « communauté juive française » habitée par un sentiment d’insécurité, renforcé par les débordements en marge des manifestations propalestiniennes à Paris. Or, si la lutte contre l’antisémitisme est une politique aussi louable qu’impérative, il serait hasardeux qu’elle serve de curseur à notre diplomatie au Proche-Orient. Céder à cette tentation, c’est faire le jeu de l’importation du conflit israélo-palestinien en France.


Les avocats inconditionnels de l’Etat israélien se plaisent à souligner qu’il représente l’« unique démocratie de la région », argument d’autorité ignorant toute contradiction ontologique entre les valeurs de l’Etat de droit démocratique et le recours illégal et illégitime à la force, à l’occupation, à la colonisation et à des pratiques discriminatoires relevant de la logique de l’apartheid. Cette nouvelle vague de violences a de profondes racines et s’inscrit dans un contexte qu’il convient de ne pas méconnaître. Gaza est une prison à ciel ouvert d’une densité démographique parmi les plus élevées, soumise à un blocus israélo-égyptien synonyme de crise humanitaire permanente. A cela s’ajoute l’absence de perspectives politiques : l’impasse qu’incarne le Hamas n’a d’égal que l’incapacité du gouvernement israélien à mener des négociations de paix ouvrant la voie à la création d’un Etat palestinien viable. L’échec du dernier cycle de négociations relève, aux dires mêmes du secrétaire d’Etat américain John Kerry, de la responsabilité du gouvernement israélien.


Alors que la colonisation se poursuit depuis 1967 et empêche la création d’un Etat palestinien viable, elle plonge aussi une majorité de la société israélienne « dans une logique perverse du découragement », selon l’écrivain israélien David Grossman. La voix de la raison et de la justice existe encore en Israël, mais elle s’enlise dans un puissant sentiment d’indifférence au sort de l’Autre. La mort de jeunes manifestants palestiniens sous les balles de l’armée israélienne rythme le quotidien de la région et devient chose banale, cependant que la stupeur et l’effroi saisissent cette même société dès lors qu’est brandie la menace sécuritaire.


Insensible au droit international et aux faibles pressions diplomatiques, le gouvernement israélien fait prévaloir la logique de puissance sur tout esprit de compromis. Il demeure plus soucieux d’« avoir la paix » par la force (ou par un cessez-le-feu fictif) que de « faire la paix » par une négociation constructive et porteuse d’espoir. Le statu quo mortifère et contre-productif est un scénario qui écarte la perspective d’un Etat palestinien et dans lequel « Israël pourrait devenir un Etat appliquant l’apartheid ». A moins que le spectre qu’évoquait John Kerry ne soit déjà une réalité.

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