ANALYSES

La Syrie : Bachar al-Assad, grand gagnant de la situation en Irak

Presse
20 août 2014

L’offensive lancée par l’EIIL (groupe jihadiste de l’Etat islamique en Irak et au Levant) en Irak et plus particulièrement la prise de la ville de Mossoul avec l’avancée de ses combattants jusqu’au nord de Bagdad en occupant Tikrit, la ville natale de Saddam Hussein, en semant la barbarie, en vouant à une mort cruelle des centaines de chiites et poussant à l’exode plusieurs milliers de chrétiens, n’a pas provoqué une réaction aussi rapide qu’à la mesure du danger que représentait l’aventure sanglante de l’EIIL.


Voulant pousser son avantage au profit désormais d’un "Khalifa islamique" (EI) s’étendant vers le nord et l’est de l’Irak avant d’attaquer Bagdad, le mystérieux nouveau "Khalife", Boubaker el Baghdâdi, a lancé ses troupes contre les villes de Karakosh, à majorité chrétienne, et de Sanjar, habitée par une minorité religieuse très ancienne, préislamique et préchrétienne, les Yazidis. Cette nouvelle conquête de l’EI (Etat Islamique) a provoqué la mort de dizaines de membres de cette communauté et avait fait craindre à un moment un drame humanitaire de grande échelle.


Surtout, cette nouvelle aventure sanglante de l’EI rapprochait dangereusement ses combattants de la ville d’Arbil, capitale du Kurdistan irakien. Cette avancée des troupes de l’EI, lourdement armées après la récupération des arsenaux de l’armée irakienne à Mossoul et à Tikrit, fit craindre à un moment la défaite des Peshmergas kurdes.


La mainmise de l’EI sur Arbil, capitale riche, prospère, devenue ces dernières années la ville d’Irak la plus en paix et en sécurité, et une ville quasiment internationale vu la présence des consulats et des compagnies étrangères de finance et d’exploitation du pétrole, aurait provoqué un bouleversement géopolitique porteur du danger pour toute la région. Une telle perspective était inacceptable pour les Etats-Unis et l’Europe, comme pour pour les voisins d’Irak, notamment l’Iran qui a "collaboré" entièrement avec les Etats-Unis pour stopper l’avancée de l’EI et résoudre la crise politique qui paralysait le gouvernement irakien depuis plusieurs mois.


La Syrie, un autre grand gagnant:

Un autre pays profite de l’intervention américaine en Irak: la Syrie de Bachar el-Assad. La contre offensive des Peshmergas kurdes contre l’EI et l’implication militaire des Etats-Unis et de plusieurs pays européens, notamment la France qui a livré non seulement une aide humanitaire urgente mais aussi des armes aux Kurdes, ne font que satisfaire le régime syrien.


Ce n’est pas un hasard si le représentant du gouvernement syrien à l’ONU a immédiatement salué la résolution du Conseil de sécurité qui adoptait plusieurs mesures contraignantes contre les dirigeants de l’EI et ceux qui contribuent à son financement et au recrutement des combattants. Une autre satisfaction pour Damas: le Conseil de sécurité ne se contente pas seulement d’adopter des mesures contre l’EI, il a également élargi ces mesures contre le Front al Nosra. Ce dernier, la branche syrienne d’Al Qaeda, est très actif contre le régime syrien. Lorsque l’on sait que ces deux mouvements constituent plus de 2/3 des effectifs de l’opposition armée au régime de Bachar el-Assad, on comprend aisément la satisfaction de Damas.


La résolution du Conseil de sécurité, votée à l’unanimité, va plus loin et réclame le désarmement et la dissolution immédiats de l’EI, du Front al-Nosra en Syrie et des autres formations liées à Al-Qaïda. Dans cette résolution, le Conseil se dit très préoccupé par le fait qu’une partie du territoire de l’Irak et de la Syrie est "sous le contrôle de l’État islamique d’Irak et du Levant et du Front al-Nosra", et que leur présence, leur idéologie extrémiste violente et leurs agissements sont préjudiciables à la stabilité de ces deux pays et de la région.


L’EIIL et Al-Nosra: frères ennemis de l’opposition syrienne

Il faut savoir que la guerre en Syrie a été une opportunité formidable pour l’organisation qui, jusqu’en avril 2013, n’était que l’Etat islamique en Irak, et constitue également un tournant dans la guerre en Syrie comme pour l’avenir de l’EII. En effet, c’est en février que l’EII décide de s’engager dans la guerre en Syrie, alors qu’il y existait déjà une organisation ouvertement affiliée à Al Qaïda: le Front al Nusra. Ce dernier n’a pas vu d’un bon œil l’arrivée d’un concurrent sur ses terres et demanda alors au "chef suprême, mais de plus en plus affaibli, d’Al Qaïda, et successeur de Ben Laden, le Cheikh el Zawahiri, de trancher le conflit entre les deux branches d’Al Qaïda. Al Zawahiri trancha en faveur d’Al Nusra, demandant à Boubaker el Bagdad de se replier en Irak et d’y mener le djihad. Fort de sa puissance, Al Baghdâdi a refusé d’obéir aux ordres d’Al Zawahiri et a, au contraire, proclamé l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), la troisième phase de l’évolution de cette organisation.


Ainsi naquit une organisation dissidente d’Al Qaïda officielle, beaucoup plus radicale dans ses méthodes et plus amitieuse dans son objectif. C’est la nouvelle génération d’Al Qaïda, c’est une organisation qui a pour la première fois une base (Qaïda) pour mettre en place un Khalifa, ce que Ben Laden n’a jamais voulu proclamer. Elle possède également des moyens financiers. Non seulement elle a mis la main sur près de 500 millions de dollars de réserves dans les banques de Mossoul et Tikrit, des réserves d’or et des arsenaux de l’armée irakienne dont des armements lourds et sophistiqués laissés par les Américains après leur retrait d’Irak, mais elle continue de bénéficier du soutien de ses donateurs.


Ces ressources ne sont pas qu’irakiennes, car l’EI peut aussi compter sur les donateurs étatiques du Golfe. Depuis sa naissance et son apparition contre l’occupation américaine en Irak, nous avons ainsi assisté pour la quatrième fois à un changement de nom. L’Etat islamique en Irak et au Levant devient l’Etat islamique tout court. Ce changement n’est pas seulement sémantique. En réalité, l’EIIL se donne désormais comme objectif de "libérer" l’ensemble du monde musulman. Son pouvoir ne se limite pas à l’Irak et au Levant (la Syrie et le Liban). Il est devenu désormais un Etat qui ne reconnaît plus de frontière. Cela constitue aussi la raison de la prise de conscience, notamment de Washington, de Paris et de Londres, lesquels ont pu facilement convaincre le Conseil de sécurité de réagir.


C’est une nouvelle donne, car l’ambiguïté vis-à-vis de l’EIIL a perduré longtemps…

Au moins jusqu’au début de cette année 2014. On a donc assisté à des relations conflictuelles entre l’ancien et le nouvel Al Qaïda en Syrie qui brouillent le message de l’opposition. Au début, celle-ci était fondée sur des revendications démocratiques, mais aujourd’hui, elle s’est transformée en une guerre fratricide au sein de l’opposition pour l’instauration d’un Etat islamique en Syrie, avec quelques nuances en fonction de l’appartenance avec l’EIIL, le Front Al-Nosra, le Front islamique créé en novembre 2012 avec le regroupement de sept autres mouvements djihadistes. Même l’Armée syrienne libre (ASL) désormais affaiblie ne veut pas se démarquer d’un Etat islamique.


De fait, depuis plusieurs mois, des affrontements beaucoup plus sanglants opposent entre eux les différents groupes de l’opposition armée syrienne. Au début de janvier 2014, le Front islamique, Al-Nosra et d’autres brigades de l’opposition ont lancé une grande opération contre les positions de l’EIIL dans l’est de Syrie qui a fait 300 morts. Le but de cette opération consistait de toute évidence à l’époque à un changement de la stratégie des monarchies arabes du Golfe qui soutenaient toutes les composantes de l’opposition mais dont l’aide militaire et financière tombait en grande partie sur le terrain aux mains des djihadistes.


L’élimination de l’EIIL, ou tout au moins son affaiblissement, aurait renforcé l’image plus modérée de l’opposition. Seulement, Al Nosra, partageant la même conception idéologique, venant tous les deux d’Al Qaïda, rivaux dans certaines provinces syriennes, sont alliés dans d’autres. Ce conflit interne à ces deux groupes djihadistes ne leur a pas empêché de mener ensemble au début de ce mois d’août une offensive au Liban dans la région d’Arsal, causant la mort de 16 soldats libanais, ce qui a fournis l’occasion au gouvernement syrien de réaffirmer son soutien au Liban.


Hier, au moment où l’aviation américaine a bombardé à 14 reprises les positions de l’EI pour permettre aux Peshmergas kurdes de mener à bien leur contre offensive et récupérer le barrage stratégique de Mossoul, l’aviation syrienne a mené 43 raids contre les positions de l’EI de l’autre côté des frontières, là où se trouve la base de l’EI. Ce lundi les raids syriens se poursuivaient. Personne ne peut croire qu’il s’agit d’un hasard.


 

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