États-Unis/Moyen-Orient : les gaz et pétrole de schiste ne changent pas tout
L’hypothétique indépendance énergétique américaine liée à l’essor du secteur des hydrocarbures non conventionnels (gaz et pétrole de schiste), la politique du pivot asiatique amorcée fin 2011 ainsi que les hésitations sur la crise syrienne ont permis l’émergence de la thèse d’un désengagement américain du Moyen-Orient.
Selon cette dernière, disposant de ressources fossiles en quantité suffisante et voyant son opinion publique et ses finances fatiguées des guerres d’Afghanistan et d’Irak, Washington serait en mesure de se détourner du Moyen-Orient, et même de rompre avec la turbulente Arabie saoudite, allié historique dans la région depuis le pacte du Quincy en 1945.
Certes, la croissance de la production américaine d’hydrocarbures non conventionnels est importante (de 500.000 barils par jour en 2009 à 3,22 millions à la fin de l’année 2013 pour le pétrole selon l’Agence d’information sur l’énergie).
Certes l’intérêt porté à l’Asie pacifique est grandissant et fondé, et s’accompagne d’un renforcement des forces stationnées dans la région.
Certes, les relations avec Riyad ont été marquées par des soubresauts depuis les processus révolutionnaires dans le monde arabe. Mais ces éléments sont-ils suffisants pour voir les États-Unis rompre avec une des lignes directrice de leur politique étrangère depuis plusieurs décennies ?
Trois ans après la formulation de la stratégie du pivot par sa secrétaire d’État Hillary Clinton et deux ans après l’emballement autour des prévisions de croissance de la production du secteur non-conventionnel, Barack Obama vient de mettre un terme à ce débat, si cela était nécessaire, en annonçant son intention de former une coalition d’État afin d’intervenir en Irak, voire en Syrie, pour éradiquer la menace de l’État islamique.
Il prouve ainsi à ceux qui pensaient que le temps des incursions américaines visant à préserver une certaine stabilité au Moyen-Orient (avec des résultats variables) était révolu qu’ils se trompaient.
Le statut de swing producer (1) de l’Arabie saoudite, la croissance des exportations de cette dernière vers l’Asie (vers les alliés de Washington mais aussi vers la Chine), l’importance de la sécurisation des flux énergétiques dans la politique américaine de développement d’alliance, les difficiles négociations sur le nucléaire avec l’Iran, la relation avec Israël, et, bien évidemment, la situation en Syrie et en Irak, témoignent du caractère stratégique de la région dont la stabilisation a minima reste un objectif majeur.
La grille d’analyse de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient ne peut ainsi se limiter à des considérations énergétiques, reposant de plus sur des prévisions extrêmement optimistes.
Car malgré une impressionnante progression de leur production, la consommation quotidienne des États-Unis frôle toujours les 19 millions de barils par jour (18,83 selon BP) pour une production quotidienne d’environ 10 millions. Il faudrait donc, pour que le pays devienne un "îlot énergétique", que la croissance de la production non-conventionnelle se poursuive sur un rythme considérable (un triplement en quinze ans) et que les mesures d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables obtiennent simultanément des résultats exceptionnels.
Annoncés comme un game changer, les hydrocarbures non conventionnels ne sont encore pas encore en mesure d’infléchir la politique américaine au point de voir Washington tourner le dos à l’un des épicentres géopolitiques de la planète.
1) Gardien du marché, l’Arabie saoudite est en effet le seul pays qui conserve des capacités de production excédentaires lui permettant lors de pénuries de varier sa production dans des délais restreints pour ajuster les prix et rassurer ainsi ses clients.