ANALYSES

Centrafrique : quels sont les tenants et les aboutissants des missions onusienne et européenne ?

Interview
28 avril 2014
Le point de vue de Philippe Hugon
Le Conseil de sécurité des Nations unies a autorisé au début du mois le déploiement de 12.000 casques bleus en Centrafrique. Quelles seront les principales missions de la MINUSCA ?

La future force des Nations unies va intégrer la force africaine – la Misca (Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous conduite Africaine) – qui est composée d’un peu moins de 5.000 hommes depuis le départ des Tchadiens. Elle comprendra 10.000 militaires et 2.000 policiers. L’objectif est évidemment de se situer comme force d’interposition entre les différentes mouvances et milices que sont les ex-sélékas et les anti-balakas. Il est évidemment question d’assurer la protection des biens et des personnes et de faire en sorte qu’il y ait un certain contrôle du territoire, en sachant qu’actuellement d’une part, il n’y a que la région autour de Bangui qui soit relativement contrôlée et d’autre part, autour des huit frontières que la Centrafrique a avec ses voisins, on a des zones de très forte insécurité puisque ce pays n’est pas seulement un chaos interne mais aussi un épicentre de différents conflits que l’on trouve dans les zones frontalières. Ainsi, une force de 12.000 personnes représente un minimum, en sachant bien évidemment que les casques bleus ne sont jamais à même de totalement remplacer des forces nationales. Ils peuvent au mieux éviter une expansion des conflits mais il est évident que la question de la sécurité durable de la Centrafrique passe par la reconstitution d’une armée centrafricaine et d’un Etat qui exerce ses fonctions régaliennes.

Le retrait total du contingent tchadien de la Misca a-t-il eu des conséquences sur le terrain ? Qu’en est-il de la position de N’Djamena dans la région ?

Il est certain que le Tchad est dans une position relativement ambiguë puisqu’on sait que les Tchadiens ont soutenu la Séléka dont de nombreux membres sont d’origine tchadienne et soudanaise. Ils ont soutenu l’arrivée de la Séléka et le départ du président Bozizé donc c’est bien Ndjamena qui a largement favorisé la mise en place de Michel Djotodia. En même temps, les Tchadiens se sont retrouvés dans des positions très difficiles puisqu’ils ont fourni 850 hommes au sein de la Misca qui était chargée, notamment, de désarmer les ex-sélékas d’où le rôle ambigu de ces forces.
Evidemment, cela représente d’abord une perte de 850 hommes pour la Misca. Les Tchadiens sont des militaires très valeureux – on le voit d’ailleurs actuellement au Mali – mais leur départ a levé un peu l’ambiguïté. Récemment, il y a eu 1.300 musulmans – mais il faut être très prudent sur la désignation religieuse de ces mouvements – qui ont été rapatriés vers le Nord : cela s’est fait sous le contrôle de forces de la Misca mais jusqu’à présent, cela se faisait essentiellement par les troupes tchadiennes.

D’ailleurs, cette évacuation de 1.300 musulmans hors de Bangui témoigne-t-elle d’une persistance des affrontements interreligieux en Centrafrique ?

Je crois qu’il faut se méfier du terme d’affrontements interreligieux. Il est évident qu’il y a une dimension qui est devenue en partie religieuse, les anti-balakas étant désignés comme chrétiens et les ex-sélékas comme étant musulmans. Aujourd’hui, les conflits ont pris effectivement une forme religieuse, qu’il ne faut pas nier mais, ceci étant, derrière ce qu’on appelle les musulmans, il y a des groupes extraordinairement hétérogènes qui sont assimilés aux ex-sélékas. D’ailleurs, ces derniers sont également composés de chrétiens même si majoritairement, il s’agit de Soudanais, de Tchadiens et d’hommes du Nord de la Centrafrique qui sont plutôt de religion musulmane. On a actuellement des originaires de différents pays, des Haoussas qui sont des commerçants, des Peuls qui sont des éleveurs : différents groupes qui depuis des générations se trouvent à Bangui et autour et qui sont obligés de quitter le pays face à des exactions de ceux qu’on appelle les chrétiens mais qui à la fois portent des gri-gris, sont proches de Bozizé, sont également des bandits ou des jeunes désœuvrés se battant l’arme à la main. La désignation religieuse pose donc problème, même si effectivement il ne faut pas nier les références ethniques et religieuses qui sont très largement instrumentalisées. C’est vrai que les 1.300 « musulmans » qui quittent Bangui vont trouver refuge soit au Tchad soit au Nord et à l’Est de la Centrafrique. Il est vrai aussi qu’ils sont menacés parce qu’ils sont perçus comme étant musulmans et comme étant proches des ex-sélékas. Mais, en réalité, ce sont des groupes très hétérogènes qui n’ont à peu près rien à voir ni avec un problème religieux ni avec un problème de longue coexistence avec d’autres groupes. Il faut savoir que la Centrafrique, avant le chaos actuel et cette crise terrible, était un pays où il y avait une très bonne cohabitation, notamment dans le domaine du religieux, et ce, malgré l’énorme pauvreté et vulnérabilité des populations.

Après deux mois de négociations, l’Union européenne est parvenue à finaliser les derniers détails de la mission EUFOR RCA. Ceci dit, la contribution des alliés européens de la France reste assez maigre au vu des besoins annoncés par Paris. Comment expliquer les difficultés rencontrées dans l’élaboration de cette mission ? Les pays européens n’ont-ils pas encore raté une occasion de matérialiser l’Europe de la défense ?

Je serais d’accord pour dire que cela témoigne de l’impuissance européenne par rapport aux questions militaires et de défense. Il y avait un mandat des Nations unies qui avait prévu une intervention européenne pour appuyer les forces françaises de Sangaris. Il y a eu énormément de réticences de la part des grands pays européens. Il faut savoir que la contribution donnée à cette force européenne qui doit se mettre en place fin-mai est essentiellement celle des petits pays européens, en sont exclus les grands pays comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne et d’autres. Ce sont notamment des pays de la zone baltique comme la Pologne ou des pays non-membres de l’UE comme la Géorgie. Il est évident qu’il aurait fallu qu’il y ait un appui plus important et plus rapide des troupes de Sangaris qui se sont retrouvées dans des situations extrêmement difficiles, l’armée française qui devait désarmer les ex-sélékas se retrouvant à se battre à la fois contre ces derniers et contre les anti-balakas. Pour de nombreuses raisons, les grands Etats européens ont été très réticents par rapport à ce qu’ils appellent le bourbier africain. Il faut savoir que leurs opinions publiques ne connaissent absolument pas la Centrafrique qui semble à l’autre bout du monde et ne voient pas la priorité d’une intervention. Il est certain que l’absence européenne a été un signe de la faiblesse de l’UE au niveau de la sécurité extérieure, même si celle-ci est prévue normalement par les différents traités, notamment celui de Lisbonne. En résumé, c’est un Etat-membre de l’Europe – la France – qui est une puissance militaire et non pas l’Europe.
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