ANALYSES

Discours d’Obama : une réactivation du rêve américain ?

Interview
30 janvier 2014
Le point de vue de
Dans son discours du 28 janvier intitulé « Une chance pour tous », Obama a souligné que la lutte contre les inégalités était sa priorité. Ce discours avait pour ambition de réactiver le rêve américain ? Comment les Américains l’ont-ils perçu ?

Obama a fait un discours qui théoriquement est très porteur dans l’opinion publique américaine dans la mesure où, de manière intelligente, il n’a pas véritablement insisté sur les inégalités en tapant sur les plus riches, car c’est là un discours peu porteur aux Etats-Unis ou en tout cas pour une grande majorité des Américains. En revanche, il a insisté sur le fait que l’Amérique était une terre d’opportunités, mettant en lumière le ré-enchantement du rêve américain. Il a ainsi pris comme exemple le cas de John Boehner, fils d’un cafetier aujourd’hui président de la Chambre des représentants. Ce sont là des propos qui plaisent beaucoup aux Américains.
Au sujet des inégalités, Obama a évoqué une réforme fiscale, mais a surtout insisté sur la conformité de ce rêve en donnant à chacun les mêmes chances de réussir. De ce fait, il a évoqué l’accès à l’université pour les classes les plus populaires et pour les classes moyennes, mais aussi la question de la rémunération des femmes et du salaire minimum. C’est en cela que ce discours a été a apprécié. Mais le discours aussi porteur soit-il, risque de rencontrer assez peu d’échos dans la mesure où la parole politique est aujourd’hui très critiquée et remise en cause aux Etats-Unis.
Aujourd’hui, le rêve américain relève de la mythologie. En 2013 il y a eu très peu de créations d’entreprises, les Américains ont eu du mal à accéder à la propriété et les riches se sont enrichis avec la crise alors que les pauvres se sont appauvris. Autant de facteurs qui affectent et interrogent le rêve américain. D’autant plus qu’Obama devait incarner ce rêve devenu réalité. Rappelons qu’en novembre 2008, il avait déclaré dans son discours de victoire que dans aucun autre pays du monde son histoire aurait pu être possible. Evidemment une remise en question de l’ « American Dream » existe, mais l’idée reste toutefois très forte aux Etats-Unis.

Afin de mettre un terme aux inégalités et dynamiser l’économie américaine, Obama a fait un certain nombre de propositions dont la mise en place d’un salaire minimum pour les entreprises sous contrat public, comptant sur un effet d’entraînement. Dans un pays où l’interventionnisme étatique n’est pas forcément bien vu, l’application de l’ensemble de ces mesures vous semble-t-elle jouable, d’autant que le Congrès se verra renouveler partiellement en novembre prochain ?
Il semble révolutionnaire de mettre en place un salaire minimum aux Etats-Unis. La grande question est de savoir comment va être perçu ce discours par les Américains, étant donné qu’ils vont par la suite faire pression sur leurs élus. La perspective du renouvellement du Congrès en novembre 2014 est essentielle pour comprendre le contexte dans lequel s’inscrit la démarche du président. Il s’agit pour Barack Obama de remobiliser sa base électorale, car si les démocrates perdent la majorité en novembre prochain, il sera obligé d’accepter l’inaction et les entraves posées par un Congrès totalement républicain, ce qui signera la fin de son mandat. D’autant plus que la cohabitation risque d’être assez dure. Mais il reste évidemment des chantiers que Barack Obama peut faire avancer notamment celui sur l’immigration, puisque depuis quelques temps John Boehner, pour s’éloigner du Tea Party, s’est montré plus ouvert à une vaste réforme sur l’immigration aux Etats-Unis.

Il s’agit donc d’un discours extrêmement volontaire, voire volontariste, qui a pour vocation de montrer aux Américains que le président est prêt à agir, et que l’immobilité ne peut être provoquée que par le Congrès. Obama a également voulu, à mon avis, signifier que 2014 allait être une année d’action, alors que le 113ème Congrès est le plus inactif. En effet, celui-ci a voté une cinquantaine de lois en deux ans, ce qui est ridiculement faible par rapport à d’habitude. Ainsi, Obama voudrait que les républicains soient désignés comme les responsables des blocages actuels, alors que les démocrates devraient apparaître comme des acteurs du changement. A travers ces propos, le président des Etats-Unis a ouvert la campagne 2014, essentielle pour lui.

La gestion des nombreuses difficultés internes empiète-t-elle sur la politique étrangère américaine ?
Il est intéressant de voir à quel point Barack Obama a pu à nouveau affirmer sa doctrine en termes de politique étrangère. On observe désormais que dans ses discours, le président américain présente son pays comme un pays exceptionnel et à part, et insiste sur le fait que lorsque la crise internationale a frappé, le monde s’est tourné vers les Etats-Unis.
Obama précise néanmoins que l’Amérique n’a pas vocation à intervenir militairement partout dans le monde, mais qu’elle doit changer celui-ci à travers son exemplarité. Il a notamment abordé la question de l’exemplarité au sujet de Guantanamo. Ceci traduit la montée en puissance d’une tendance isolationniste des Etats-Unis, qui fait écho aux discours du XIXème siècle, où l’Amérique pensait pouvoir changer le monde uniquement à travers son image de modèle. Ce discours s’inscrit pleinement dans le cadre de sa politique étrangère telle qu’il l’avait définie en janvier 2012, et se reflète également dans les mots de John Kerry à propos de la Syrie où une intervention militaire est loin d’être envisageable.
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