ANALYSES

Tunisie : de la transition constitutionnelle à la transition démocratique ?

Interview
28 janvier 2014
Le point de vue de Béligh Nabli
La Tunisie a adopté sa nouvelle Constitution après deux ans de débats. Ce vote historique va-t-il permettre selon vous d’ouvrir la voie à des élections et permettre à la Tunisie de sortir de l’impasse politique ?

La Tunisie vient de fixer les fondements constitutionnels de sa République démocratique post-révolutionnaire. Le moment est historique. Sa charge symbolique est particulièrement forte pour le pays et un monde arabe traversé par un souffle contestataire né il y a trois ans, en Tunisie déjà. Une avancée certes laborieuse, mais dont l’aboutissement contraste avec les situations syrienne, égyptienne, libyenne…
On assiste en Tunisie à la fois à la conclusion d’une séquence et à l’ouverture d’un nouveau chapitre dans le (long) processus de transition démocratique que connait le pays depuis la chute du régime de Ben Ali (14 janvier 2011). Deux évènements concomitants marquent l’accélération de cette phase transitionnelle : d’un côté l’Assemblée nationale constituante (ANC) a fini par atteindre l’objectif pour lequel elle avait été élue il y a plus de deux (adoption de la nouvelle Constitution dans son intégralité, à la majorité de 200 voix contre 12 objections et quatre abstentions), de l’autre Ennahda ne dirige plus le gouvernement (mais reste en position de force au sein de l’ANC). Ces mêmes évènements – l’adoption de la constitution et la nomination d’un gouvernement de « techno-indépendants » – ouvre la voie à l’organisation de nouvelles élections législatives et présidentielle, dont les résultats demeurent pour le moins incertains.

D’une part, la nouvelle Constitution fait référence à l’islam sans pour autant adopter la charia. D’autre part, le texte garantit le respect des droits humains et des libertés. Cet équilibre est-il une réelle avancée pour la consolidation d’une démocratie tunisienne ?

Norme juridique suprême de l’Etat, la Constitution est également un texte définissant un Contrat social et l’identité nationale. Or la réalité plurielle qui traverse la société tunisienne est complexe et contradictoire. Dès lors, la Loi fondamentale ne pouvait être que le produit d’un compromis entre les forces politico-sociales du pays.
Le fait remarquable réside dans l’acceptation – forcée – de l’art du compromis par une assemblée dominée par les islamistes. Ces derniers ont pris acte de la contre-productivité ou inefficacité de la logique du rapport de force systématique. Le passage en force aurait abouti à une impasse. L’exemple égyptien en témoigne. Finalement, le texte constitutionnel est dans sa globalité un texte de compromis entre les deux versants de la société tunisienne, l’un islamo-conservateur et l’autre progressiste ou moderniste.
Outre la question récurrente et obsessionnelle de la place de l’islam, l’enjeu du texte constitutionnel est aussi de savoir s’il permet de garantir l’avènement d’une démocratie moderne en Tunisie. La réponse dépendra d’abord et avant tout de l’attitude des acteurs politiques qui auront à l’interpréter et à l’appliquer. La question se pose au regard des expériences « Bourguibiste » puis « Benaliste » : le texte constitutionnel de l’époque n’a pas empêché la dérive autoritaire et liberticide du pouvoir de Carthage…

Le nouveau gouvernement a été composé par le ministre de l’Industrie, Mehdi Jomââ, qui n’a choisi que des personnalités apolitiques. A quels enjeux ce nouveau gouvernement va-t-il être confronté ?

Outre sa mission en vue de l’organisation des prochaines élections législatives et présidentielle, le gouvernement va se trouver confronté à une situation économique et sociale très difficile. Ses choix ou décisions auront du mal à infléchir ou peser sur les données macro-économiques du pays (niveaux de croissance, d’inflation, d’investissements étrangers, mais aussi équilibre commercial…) dans un laps de temps très court. Il peut néanmoins tenter de redonner confiance aux opérateurs économiques nationaux et étrangers, en faisant montre d’une capacité de gouvernance qui a fait défaut aux islamistes. Sur le front social, le chômage endémique pèse comme une épée de Damoclès sur la démocratie naissante : des révoltes populaires et localisées ne sont pas à exclure, notamment dans la banlieue de Tunis et dans les territoires intérieurs où les populations subissent de plein fouet une envolée de l’inflation et l’augmentation d’un certain nombre de taxes ou d’imposition. Enfin, sur le plan sécuritaire, la menace terroriste des salafo-djihadistes demeure d’actualité. La lutte contre ces forces déstabilisatrices passe par le renforcement de la surveillance des frontières avec l’Algérie et la Libye, et par une remobilisation (déjà amorcée) des forces de l’ordre.
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