ANALYSES

Traité de sécurité entre l’Afghanistan et les Etats-Unis : pourquoi la signature est-elle retardée ?

Interview
25 novembre 2013
Le point de vue de Karim Pakzad
Quels sont les principaux enjeux du « pacte de sécurité » entre l’Afghanistan et les Etats-Unis ?
L’accord stratégique entre l’Afghanistan et les Etats-Unis a provoqué énormément de débats et de contestations aussi bien en Afghanistan que chez les voisins de ce pays, notamment en Iran, et ce, pour la simple raison que cet accord est différent des accords que l’Afghanistan a signé avec d’autres puissances étrangères comme la France. Cet accord a suscité tant de passion au point que Hamid Karzaï a dû convoqué une « Loya Jirga » – grande assemblée traditionnelle afghane – qui est réunie exceptionnellement pour faire face à des événements extrêmement importants comme l’adoption d’une nouvelle constitution, le changement des institutions politiques, etc. Les éléments inclus dans cet accord de statut, au-delà des points qui définissent la coopération future entre Washington et Kaboul dans différents domaines (économique, commercial, politique, etc.), comprennent également un volet sécuritaire.
Ce volet définit le maintien des soldats américains (on parle de 7.000 à 10.000 soldats américains selon ce traité bilatéral) après le retrait des troupes de l’OTAN qui aura lieu d’ici la fin 2014. Cette présence des forces américaines en Afghanistan pour une longue période, au minimum dix ans, pose également la question des bases militaires permanentes. Or, dans le volet sécuritaire de l’accord stratégique, il est prévu que les Américains disposeront d’au moins sept bases militaires permanentes. Le troisième point qui a vraiment provoqué la contestation et qui a poussé Hamid Karzaï a convoqué la Loya Jirga afin de ne pas endosser seul la signature d’un accord qui, pour certains, est une renonciation partielle à la souveraineté afghane en faveur des Etats-Unis, c’est l’immunité juridique reconnue pour les soldats américains en Afghanistan. C’est-à-dire que, selon ce traité, les soldats ou les citoyens américains présents en Afghanistan dans les prochaines années ne seront pas responsables devant les autorités afghanes s’ils commettent des crimes sur le sol afghan. Ils seront jugés par des tribunaux américains.

Alors que l’assemblée nationale afghane a approuvé la signature de cet accord, comment analysez-vous la réaction du président Hamid Karzaï qui a posé des préconditions ?
Les négociations entre Kaboul et Washington sur ce traité et notamment sur son volet sécuritaire durent depuis un an et demi. Parfois même, elles ont été au bord de la rupture notamment en raison de la menace de Barack Obama de retirer l’ensemble des soldats américains et de ne pas rester en Afghanistan après 2014 si Hamid Karzaï persiste dans ses exigences jugées démesurées. Hamid Karzaï avait également menacé à plusieurs reprises de ne pas signer ce traité et de demander aux Américains de quitter l’Afghanistan. Alors pourquoi autant de tergiversations ? Parce qu’il y a énormément d’éléments dans ce traité, notamment de nombreuses exigences posées par la partie afghane. Par exemple, les Afghans demandaient qu’il soit précisé dans ce traité que les Etats-Unis défendraient militairement l’Afghanistan dans le cas d’une menace étrangère : ils essayaient ainsi de s’assurer de l’engagement des Américains dans un possible conflit entre l’Afghanistan et le Pakistan. Aussi, les Afghans demandaient aux Américains de définir le mot terroriste. Alors que les Américains négocient avec les Talibans pour arriver à une solution politique en Afghanistan, Hamid Karzaï et son équipe tentaient d’englober ces derniers dans la définition du terrorisme. Ces revendications de l’Afghanistan ont fait durer les négociations du traité.
Mais il y existe une raison principale, que l’opinion occidentale ignore, poussant Hamid Karzaï à être hésitant. Même si d’un côté, il souhaitait la signature de ce traité entre l’Afghanistan et les Etats-Unis, de l’autre il rechigne à le signer lui-même, et ce, parce qu’il ne veut pas endosser la responsabilité de la signature de ce traité vis-à-vis de l’opinion afghane et de l’opinion mondiale, mais aussi vis-à-vis de l’Histoire. En effet, un élément essentiel dans l’histoire de l’Afghanistan fut que ce pays, au cours des 18ème et 19ème siècles, a été constamment envahi ou en guerre avec les troupes britanniques installées en Inde, soit avec la Grande-Bretagne. A plusieurs reprises, les rois afghans ont signé des traités par lesquels ils renonçaient volontairement à leur souveraineté sur certaines parties du territoire afghan ou sur la politique étrangère afghane. L’un d’entre eux, le prince Shah Shuja, a signé en 1839 ce même type d’accord avec la Grande-Bretagne pour retrouver son trône. Or, dans l’histoire de l’Afghanistan, ce souverain est synonyme du traitre. Ainsi, Hamid Karzaï avait peur que dans l’histoire de l’Afghanistan, le peuple afghan l’assimile à l’avenir à Shah Shuja pour avoir fait la même chose que lui, un siècle et demi plus tard, avec les Américains. Il a donc voulu passer par la Loya Jirga qui représente officiellement le peuple afghan dans son ensemble.
Après le vote favorable du Loya Jerga au projet du traité américano-afghan, Hamid Karzaï a posé d’autres conditions pour éviter que lui-même signe ce traité. Ainsi, l’un des préalables à la signature sera que les prochaines élections présidentielles qui doivent se tenir en avril 2014 se déroulent d’une manière satisfaisante. Il n’a pas hésité à accuser les Etats-Unis d’être intervenus dans le déroulement de la précédente élection présidentielle contre lui. Dans ce cas-là, il reviendra au nouveau président afghan (Hamid Karzaï ne peut se représenter ayant fait deux mandats successifs) de signer le traité adopté par la Loya Jirga et le Parlement afghan.

Quelle est la position des Talibans vis-à-vis de ce pacte de sécurité ?
Les Talibans sont opposés à tout accord signé entre le gouvernement afghan et un pays étranger, et plus particulièrement les Etats-Unis, pour la simple raison que ce gouvernement dans son ensemble, et non pas seulement Hamid Karzaï, n’a pas de légitimité à leurs yeux. C’est la raison pour laquelle jusqu’à aujourd’hui, ils ont refusé de négocier avec le régime de Kaboul. Et c’est pour cette raison également que les Américains ont voulu négocier directement avec les Talibans, notamment en leur permettant d’ouvrir un bureau au Qatar. D’ailleurs, les Talibans ont annoncé que tous ceux qui ont participé à l’adoption de ce traité, c’est-à-dire les 2.500 membres de la Loya Jirga, sont des traîtres et qu’ils seront traités comme tels. Mais les Talibans ne sont pas les seuls opposants à ce traité.
Ainsi, certains partis politiques, qui défendent d’une façon ou d’une autre une politique plutôt nationaliste, sont opposés à la signature de ce traité. Aussi, les milieux plus ou moins favorables à la politique de tel ou tel pays étranger comme l’Iran, qui a pris position publiquement contre la signature de ce traité, sont également opposés à ce traité. D’ailleurs, l’équipe qui entoure Hamid Karzaï n’est pas homogène : une partie de son entourage est en lien avec les Talibans (on compte même d’anciens Talibans parmi ses collaborateurs) ou est issue de partis islamiques qui sont opposés aux Américains. Ils poussent le président afghan à ne pas signer le traité. Dans le même temps, Hamid Karzaï est également entouré d’anciens membres de l’Alliance du Nord ou de personnalités très favorables aux Américains et à l’Occident et fortement hostiles aux Talibans : ces personnes ont poussé le président afghan à signer l’accord immédiatement. Les partis représentant les minorités ethniques (Tadjiks, Ouzbeks et Hazâras) se prononcent également pour la signature rapide de ce traité.
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