ANALYSES

L’OTAN a-t-il un rôle à jouer dans la transition énergétique gazière ?

Interview
9 octobre 2013
Le point de vue de Nicolas Mazzucchi
Comment l’OTAN perçoit-il le glissement vers l’est des pays exportateurs d’hydrocarbure du Golfe et quels pourraient être les impacts sécuritaires ?
L’OTAN n’a pour le moment pas forcément la possibilité de prévoir comment le glissement va s’opérer. Historiquement, les pays du Golfe ont beaucoup exportés vers l’Asie, principalement le Japon. On s’aperçoit que, désormais, le glissement s’opère vers la Chine, l’Inde, un peu la Corée du Sud, et que les pays d’Asie sont à l’heure actuelle les premiers pays de consommation de gaz et de pétrole venant du Golfe.
Pour l’OTAN, cette situation commence à poser un problème, notamment au niveau de ce que l’on appelle l’Initiative de coopération d’Istanbul (ICI), partenariat tissé avec un certain nombre de pays du Golfe, avec le Koweït, le Qatar, etc. On pense que cela peut entraîner à long terme un renversement de position de ces pays vers une plus grande proximité notamment avec la Chine. Si beaucoup d’accords de coopération militaire sont signés depuis deux ou trois ans entre la Chine et ces différents pays (Qatar, Arabie Saoudite, Sultanat d’Oman…), l’OTAN ne les considère pas pour l’heure comme une problématique de premier plan, et les voit seulement comme une diversification des relations militaires de ces pays.

Une position commune de l’alliance sur le gaz de schiste n’est-elle pas fantasmée ?
A l’heure actuelle, elle l’est totalement. On observe en effet une triple fracture.
D’un côté, on a les Etats-Unis qui essaient de passer à un modèle de production la plus importante possible de gaz de schiste pour avoir une grande indépendance nationale énergétique, que cela soit faisable ou non in fine .
On a également une position centrale, celle des pays d’Europe de l’Ouest, qui sont plus ou moins opposés au gaz de schiste pour des raisons écologiques mais aussi économiques. Ce sont souvent des pays qui ont des accords de fourniture de gaz à long terme avec les pays du Maghreb ou même la Russie,, ou encore les pays d’Europe du Nord qui sont eux-mêmes des producteurs de gaz, comme la Norvège ; ces pays ont la plupart du temps assuré leur sécurité énergétique par eux-mêmes.
Le troisième grand bloc que l’on voit au sein de l’Alliance atlantique est celui des pays de l’Europe de l’Est qui ont tendance à être mono-dépendants de la Russie au niveau de leur approvisionnement gazier. Ils voient le gaz de schiste de manière plutôt favorable, mais on se rend compte que cette sorte d’Eldorado du gaz de schiste, annoncé principalement en Pologne, a été un relatif échec en terme économique à cause de différences géologiques, juridiques ou encore économiques entre le modèle polonais et le modèle américain.
On a donc trois positions très différentes, donc s’imaginer qu’on puisse avoir une position commune au sein de l’Alliance atlantique revient pour l’instant à la même idée qu’avoir une position énergétique commune au sein de l’Union européenne… Beaucoup de monde en discute, mais personne n’est capable d’arriver à un accord et il y a énormément de résistance.

Comment la Russie, géant énergétique, vient-elle s’insérer dans la compréhension otanienne du dossier des gaz de schiste ?
C’est justement la grande interrogation. On voit que la révolution du gaz de schiste, qui a entraîné un effondrement des cours du gaz en 2009, a eu de très grands impacts sur la Russie, notamment sur Gazprom. Enormément de projets gaziers ont été mis en suspens, comme le projet Shtokman, ou tous les forages dans l’Arctique. Avec la baisse des cours du gaz, ces projets ne sont plus rentables et la Russie préfère se concentrer sur les circuits d’approvisionnement qui existent déjà vers l’Europe occidentale, que ce soit les pipelines terrestres passant par l’Europe de l’Est ou le Nord Stream qui passe par la Baltique avec la volonté de continuer à développer le South Stream qui lui passe par la mer Noire. La Russie est toujours dans cette idée-là, mais ce décrochage des prix a rendu l’arme gazière beaucoup moins attractive. Ainsi, on se demande au sein même du pays quel pourra être l’avenir du pays vis-à-vis du gaz. Va-t-il rester le premier moteur du pays en termes économiques et géopolitiques ou risque-t-il de passer au second plan ? Au sein de l’OTAN, on essaie de comprendre comment le décrochage qui peut être observé pourra être utilisé, et comment on peut en bénéficier si possible pour essayer de sortir les pays d’Europe de l’Est de cette « tutelle énergétique » russe.
Sur la même thématique