ANALYSES

L’Italie est-elle dans l’impasse ?

Interview
30 septembre 2013
Le point de vue de Fabio Liberti, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste de l’Italie
En donnant comme consigne à ses ministres de démissionner du gouvernement de coalition, Silvio Berlusconi use-t-il de sa dernière arme en pariant sur la dissolution du Parlement afin que le Sénat ne puisse voter sa déchéance parlementaire ?

Berlusconi a été condamné de façon définitive par la Cour de cassation. Une loi italienne (dite « anticorruption ») a été votée lors de la dernière législature, imposant l’inéligibilité et la déchéance pour tout député ou sénateur condamné de façon définitive. Le Sénat doit du coup juste ratifier avec un vote formel sa déchéance et il devrait de toute manière arriver au vote avant toute dissolution. La philosophie de cette loi était d’éviter d’avoir des condamnés définitifs siégeant au parlement.
Silvio Berlusconi a essayé de « négocier » avec le président de la République italien une grâce présidentielle, sachant que d’autres procès vont arriver dans les prochains mois aux jugements définitifs. Face au refus de la part du président de la République de toute négociation, (assez compréhensible au demeurant, dans un Etat de droit, le jugement définitif de la Cour se doit d’être respecté), Silvio Berlusconi cherche une issue désespérée.
Acculé face à la perspective d’être assigné à résidence, voire arrêté si une pluie de condamnation s’abat sur lui, Berlusconi semble agir de façon un peu irrationnelle à mon sens, en invoquant la démission de ses ministres. Je parle d’irrationalité car si on décompose les problèmes et que l’on met tous les éléments sur la table, Berlusconi reste un des actionnaires principal du gouvernement. Même condamné de façon définitive, il est l’un des acteurs majeur du jeu politique italien. En faisant démissionner ses ministres, il fait le pari d’obtenir des élections anticipées mais le président de la République a affirmé à plusieurs reprises qu’il ne les convoquera pas. D’autre part, s’il est vrai que le gouvernement n’a pas de majorité sans Berlusconi, il paraît fort probable que des députés du parti même de Berlusconi, voire des députés du mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo, pourraient changer de posture.
Si cela devait se passer ainsi, Berlusconi fait le pari de se trouver seul dans l’opposition. Peut-être s’est-il dit qu’un gouvernement formé dans ces conditions pourrait tomber rapidement, après des mois difficiles, le laissant dans une posture qui pourrait l’avantager (il pourrait par exemple s’insurger contre la pression fiscale et les mesures impopulaires d’austérité nécessaires au pays). C’est un pari osé car effectué sur la peau du pays.

La question de confiance sera posée mercredi au Parlement. Quel est l’objectif d’Enrico Letta et pourra-t-il mettre un terme à cette impasse politique ?

Letta veut briser Le Peuple de la liberté, le parti de Berlusconi. Il a très bien compris, qu’au sein du parti berlusconien, des personnes se plaisent dans le rôle de ministre et dans le fait d’être aux affaires. Mais il y a les faucons, les plus radicaux, les ultras Berlusconiens, qui ont été exclus du gouvernement, qui se disent qu’en regagnant les élections, ils auraient des portefeuilles ministériels. Letta est en train d’essayer de briser le mouvement et de faire douter Berlusconi sur le nombre de députés qui le suivront dans ce qui pourrait être une longue traversée du désert. C’est un calcul politicien, un autre pari.
Celui-ci a de fortes chances de réussir car il y a plusieurs députés italiens qui sont pratiquement sûrs de ne pas être réélus. On ne peut pas appliquer à l’Italie le modèle des grandes coalitions allemandes, dans lesquelles la CDU et le SPD gouvernent. Lorsque la chancelière allemande n’a pas obtenu la majorité absolue à deux députés près, aucun commentateur allemand ne s’est dit qu’elle allait les trouver. En Italie, s’il y avait eu une telle situation, tout le monde aurait pensé qu’il y avait un moyen de former un gouvernement d’une manière ou d’une autre.
Mis à part cet aspect caricatural, il est vrai que le pays est en très grande difficulté économique, le gouvernement n’a pas réussi à respecter l’objectif des 3% de déficit, des impôts vont augmenter de façon automatique, la loi électorale paraît inadaptée et on pourrait déboucher à nouveau sur un blocage. Du coup, des députés « responsables » peuvent effectivement se dire que le pays n’a pas du tout besoin de nouvelles élections pour les affaires judiciaires de Silvio Berlusconi.

Cette nouvelle crise politique pourrait-elle avoir un impact sur la situation économique de l’Italie et replonger le pays dans une certaine instabilité ?
Ce matin, les taux d’intérêts ont augmenté. L’Italie est le pays le plus endetté de l’Union européenne après la Grèce. Dès que les investisseurs voient un mouvement d’instabilité, ils se disent que le pays pourrait être en danger et n’achètent plus sa dette. Cela risque d’avoir des conséquences dramatiques sur le pays mais également par ruissellement sur l’Union européenne.
Les éditoriaux de la presse italienne parlent de la possibilité de voir débarquer les « hommes en noir » de la troïka, et de voir le pays « mis sous tutelle » de l’Union européenne. Le risque existe, et les conséquences seraient importantes pour la France et l’Allemagne.
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