ANALYSES

Attaque des Shebab : pourquoi viser le Kenya ?

Interview
23 septembre 2013
Le point de vue de Pierre Jacquemot
Le groupe Al-Shabbaab a revendiqué la fusillade et la prise d’otages dans un centre commercial de Nairobi. Qui sont ces Shebab et quels intérêts défendent-ils ?

Ce commando terroriste est en effet composé de militants du groupe Al-Ce commando terroriste était composé de militants du groupe Al-Shabbaab, une organisation liée à Al-Qaïda. Elle a trouvé son origine en Somalie à la suite de l’échec des tribunaux révolutionnaires islamiques installés à Mogadiscio. Leurs partisans ont par la suite été évincés par les forces africaines et l’AMISOM (African Union Mission for Somalia), parmi lesquels figurent des Kenyans, mais aussi des soldats d’autres nationalités africaines.
La milice Shebab trouve son terreau naturel dans le Sud de la Somalie, en particulier dans les zones rurales. Elle compte environ 5000 combattants. Son idéologie emprunte à l’Islam radical. Ses méthodes sont extrêmement violentes, consistant à terroriser les populations.
Les milices Shebab mène des actions en Somalie contre le fragile pouvoir qui vient de s’installer avec l’appui de la communauté internationale. En 1998, un camion bourré d’explosifs avait pulvérisé l’ambassade américaine à Nairobi, tuant plus de 200 personnes. En 2002, un hôtel tenu par des Israéliens sur la Côte, près de Mombasa, a été attaqué. En 2010, dans l’Ouganda voisin, les Chabab avaient démontré leur capacité à mener des opérations hors de chez eux en lançant leurs kamikazes contre un café plein de consommateurs venus assister à un match télévisé de la Coupe du monde de football, faisant plus de 70 tués.

Peut-on parler de représailles contre le Kenya, allié du gouvernement central somalien que combat le groupe terroriste ou est-il pertinent d’analyser cette attaque au regard de la politique intérieure du pays ?

Cette attaque s’inscrivait dans une dynamique de représailles contre le gouvernement kenyan. Ce motif a été explicitement reconnu par les membres du commando qui sont intervenus au Westgate Mall. Il serait à mon avis inadéquat d’y chercher une relation avec la politique intérieure du pays.
Des communautés appartenant à des religions différentes (chrétiennes, musulmanes) cohabitent au Kenya, ainsi que comme des communautés d’origine différentes (africaines, indo-pakistanaise, britannique).
L’Islam est surtout concentré sur la bande côtière, à Mombasa et ses alentours. Rien ne permet de penser que la communauté musulmane soit associée à ces groupes terroristes, même si en son sein, les groupes radicaux peuvent trouver quelques militants à recruter pour des actions comme celle du Westgate Mall.
Cette attaque ne trouve donc pas ses racines dans les conflits intercommunautaires au Kenya. Il n’empêche que la violence des actions menées par les Shebab, commencé bien avant les évènements tragiques de Nairobi, peut exacerber les tensions internes et menacer finalement le fragile équilibre du pays et la cohésion de la société. Au Kenya, la violence fait partie intégrante de son histoire, comme en témoigne les évènements en marge des élections de 2008. On pourrait assister à des mouvements de vengeance de la part notamment de certains membres extrémistes de la communauté chrétienne, à titre de règlement de compte. Le président kenyan, Uhuru Kenyatta a pris la mesure de ce risque et le principal leader de l’opposition Raila Odinga, personnalité très écoutée dans le pays, a lui aussi appelé à l’unité nationale au côté du gouvernement.

Face à cette opération militaire pensée et structurée, quels sont les moyens dont disposent les forces de sécurité kenyanes ?

Le Kenya dispose d’une armée qui, contrairement à d’autres armées africaines, est relativement bien structurée et équipée. Armée professionnelle, elle intervient pour le compte des Nations-Unies dans plusieurs opérations de maintien de la paix.
Toutefois le genre d’intervention requise dans la lutte anti-terroriste, notamment contre des militants radicaux qui n’ont pas peur de mourir, appelle certaines compétences particulières. Ceci explique pourquoi les Israéliens ont apporté un soutien logistique et des conseils aux autorités kenyanes, dans le cadre d’un accord de coopération en matière de sécurité. L’intervention des forces spéciales israéliennes peut également se comprendre par le fait que le Westgate Mall appartient à des intérêts israéliens. Ce fut déjà le cas en 2002 lorsqu’un hôtel à Mombasa avait été attaqué par des rebelles, faisant une dizaine de morts et ce, alors qu’un avion israélien avait failli être touché un missile sur l’aéroport de cette ville de la Côte. A cette occasion, les forces israéliennes étaient intervenues sur le territoire kenyan. Il y a donc une certaine justification à la mobilisation des Israéliens.
Le massacre du Westgate Mall rappelle la grande difficulté, pour les Etats africains à contrôler le territoire s’étendant d’une rive à l’autre du continent africain. Du Nord Mali, au Sud de al Somalie, en passant par Boko Haram au Nigeria, l’arc de la terreur du djihadisme radical et violent ne constitue un espace homogène. Mais les liens révélés entre ces groupes dans un réseau aux ramifications complexes en fait un espace de profonde insécurité, probablement durable.

Sur la même thématique