ANALYSES

Hollande en Tunisie : quelles opportunités ?

Interview
4 juillet 2013
Le point de vue de Khadija Mohsen-Finan
Que signifie la visite de F. Hollande qui avait qualifié le printemps arabe de « porteurs de risques », alors que la Tunisie se trouve en pleine période de transition ?
La France par cette visite exprime son soutien à la Tunisie, pays en pleine transition. Le discours de F. Hollande a changé depuis cette déclaration, il parle aujourd’hui d’un pays au contraire porteur d’espoirs, d’un véritable laboratoire et d’une transition qui mérite d’être accompagnée. La France a ainsi révisé son appréciation. Le président français avait parlé de « stabilité » à propos du Maroc, de « nécessité de renouveler ses relations » avec l’Algérie et pourtant un flottement persistait sur sa position à l’égard des Tunisiens. La France se rend compte aujourd’hui au regard des autres printemps arabes, que malgré des difficultés, la transition s’opère progressivement : cette dernière fondée sur un compromis entre les différentes forces politiques du pays est bien réelle. Elle se doit donc de saluer la révolution, et d’accompagner la transition.

Le président français a prévu de rencontrer les représentants de la Troïka, sans toutefois rencontrer Rached Ghannouchi à la tête du parti islamique de l’Ennahda. Qu’en pensez-vous ? Qu’en est-il des équilibres politiques en Tunisie ?
La Troïka composé du Président de la République, du chef du gouvernement et du président de l’Assemblée, dirige aujourd’hui le pays. Rached Ghannouchi, est très souvent sollicité, à tort, étant donné sa position de président du parti d’Ennahda. Le président Hollande ne peut pas le rencontrer au même titre que les représentants de la Troïka. Cette distinction est normale et appréciée après les nombreuses confusions sur les représentants du parti islamique.
Une dynamique agite aujourd’hui la scène partisane : le regroupement des partis de l’opposition a permis la formation d’une coalition faisant face à Ennahda, parti de masse qui a mis en place un maillage très important sur l’ensemble du territoire.
Ces tentatives de coalition suivent néanmoins leur cours afin d’affronter Ennahda : une tendance bipolaire se dégage donc progressivement. La troisième faction politique, le Front populaire, considérée comme une variable d’ajustement, est en train de se rallier à ce groupe. Il existe donc aujourd’hui des équilibres au niveau des forces politiques : il se dessine un schéma particulier où les islamistes possèdent le nombre, et les « libéraux » l’influence. C’est de ce conflit que doit naître une coexistence politique.

La visite de F. Hollande débute le jour du procès de la jeune militante Femen tunisienne Amina Sboui qui encoure jusqu’à 6 ans de prison. Amnesty International a par ailleurs dénoncé une liberté d’expression régulièrement bafouée en Tunisie. Où en est la Tunisie de ce côté-là ?
Il est vrai que les Droits de l’Homme continuent à être bafoués, et il n’existe pas de lignes directrices bien claires sur cet aspect-là. La Justice n’a pas été réformée après le départ de Ben Ali. Or c’est une institution essentielle pour assurer le bon fonctionnement de la démocratie. Elle reste inféodée au pouvoir, et ce sont les mêmes juges qui rendaient la justice sous l’ancien régime qui sont aujourd’hui en fonction. Des dérives au niveau des Droits de l’homme s’opèrent notamment envers les journalistes ou de certains activistes. La société civile se doit d’être vigilante face à ces violations. Il est essentiel que F. Hollande attire l’attention de la Troïka sur ce dossier. Pour autant, il faut reconnaître que gestes ont été accomplis avant la venue du président français avec par exemple la libération des deux Femen françaises. La justice tunisienne et l’exécutif semblent éprouver des difficultés et de l’hésitation à agir devant ces cas. Il est du rôle de la France d’accompagner la société civile dans cette vigilance.
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