ANALYSES

Condamnation de Berlusconi, gouvernement Letta : où en est l’Italie ?

Interview
25 juin 2013
Le point de vue de Fabio Liberti, directeur de recherche à l’IRIS
Hier, Silvio Berlusconi a été condamné à sept ans de prison et à l’interdiction à vie d’exercer des charges publiques dans le cadre du « Rubygate ». Est-ce la fin de la carrière d’ Il Cavaliere ?

Berlusconi n’ira pas en prison suite à cette condamnation. Il pourra se pourvoir en cassation pour tenter de faire annuler sa peine. Mais le « Rubygate » n’est pas le seul procès dans lequel Berlusconi est impliqué : il a également été condamné au premier degré de jugement pour corruption de juge, dans le cadre du rachat de la société d’édition Mondadori. Là aussi, on attend le verdict final.
D’une manière générale, on a l’impression que l’étau est en train de se resserrer sur Berlusconi. Lorsqu’il était Premier ministre, il était parvenu à faire passer différentes lois lui ayant permis de ralentir voire annuler certains procès et inculpations ; ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Quelles peuvent être les répercussions de cette affaire sur le gouvernement d’Enrico Letta ?

Après les élections de février 2013, aucune majorité ne s’est dégagée. Le Parti démocrate (centre-gauche), qui avait obtenu une majorité relative mais ne pouvait pas former un gouvernement seul, a cherché à s’allier avec le Mouvement 5 Etoiles (M5S) sans y parvenir. S’en est suivie une paralysie du système politique italien, qui ne s’est débloqué qu’après que le Président de la République, Giorgio Napolitano, a adopté une position très ferme pour que le Parti démocrate et Berlusconi forment un gouvernement. A l’époque, tous les observateurs pensaient que si Berlusconi avait accepté de former un gouvernement, c’était parce qu’il avait dû obtenir des garanties : ou bien de la part du Président de la République, qui est également président du Conseil supérieur de la magistrature ; ou bien du Parti démocrate, qui aurait monnayé le soutien de sa formation au gouvernement contre l’enterrement de ses affaires. Si tel est le cas, cela signifie qu’un tel accord n’a pas encore montré ses effets, et que Berlusconi doit se sentir trahi.
Berlusconi ressort par conséquent ses propos habituels sur la magistrature politisée, communiste, mettant en place ce qu’il appelle une « persécution » contre lui. Il pourrait même décider de retirer la confiance au gouvernement Letta, ce qui provoquerait une crise de gouvernement afin de clamer son innocence dans une énième campagne électorale. Berlusconi est en effet capable de polariser l’opinion publique italienne, de jouer la carte du persécuté politique, de surfer sur un sentiment – probablement partagé par la majorité des Italiens – d’allergie au pouvoir de la magistrature (et du pouvoir étatique tout court), considérée comme lente et inefficace. Dans ce cadre, Berlusconi transforme les campagnes électorales en référendum pour ou contre lui.
Il n’a cependant aucun intérêt à faire cela à mon sens. En décembre 2012, il était donné perdant par tous les sondages. Même s’il a ensuite redressé la pente, il a perdu des millions de votes, passant de 38% à 20% des voix. Les Italiens ne lui ont pas pardonné beaucoup de choses. Certes, ils restent sceptiques face aux autres formations politiques mais n’adhèrent plus complètement aux thèses soutenues par Berlusconi. Cependant grâce à une brillante campagne électorale et grâce à la faiblesse du candidat de la gauche, il est tout de même parvenu à avoir une position centrale dans la législature. S’il retire sa confiance au gouvernement, la balle revient dans le camp de Napolitano, le Président de la République, qui pourrait certes dissoudre le Parlement et rappeler les citoyens aux urnes comme le voudrait Berlusconi, mais qui pourrait également essayer de faire former un nouveau gouvernement, susceptible de l’être avec le Parti démocrate et une partie du M5S. Dans ce cas, on aurait une majorité qui serait virulemment anti-Berlusconi. La situation serait alors plus qu’inconfortable pour le Cavaliere.

Quatre mois après le succès électoral du M5S de Beppe Grillo, où en est ce mouvement dont l’ambition était de renouveler le paysage politique italien ?

Le mouvement se trouve aujourd’hui dans l’opposition, mais traverse ce que je définirais comme une crise de croissance. En février, le M5S a remporté 25% des suffrages en partant de zéro. Aujourd’hui, le mouvement semble s’échapper des mains de son fondateur Beppe Grillo. Ce dernier a réussi à envoyer 160 députés et sénateurs au Parlement, des personnes largement impréparées et qui se déchirent aujourd’hui, principalement sur la question des rémunérations : le M5S avait promis que chaque député toucherait 2 500 Euros au maximum. Or, certains députés semblent découvrir qu’on paie des loyers élevés à Rome et refusent de restituer l’excédent de leur salaire.
D’autres polémiques ont trait à la gestion dictatoriale du Mouvement par Beppe Grillo. Toutes les personnes qui s’opposent à lui sont expulsées : déjà six députés ont été contraints ou ont choisi de sortir du Mouvement, et d’autres vont probablement suivre. Ceux qui restent disent que ceux qui partent cherchent juste à garder leur argent, et ceux qui partent disent que le Mouvement est uniquement protestataire et n’a pas voulu soutenir un gouvernement. Au fond, la vraie question par rapport au M5S, c’est de savoir s’il va réellement se briser en deux et si, en cas de rupture du mouvement, une partie du M5S pourrait décider de soutenir un gouvernement de centre-gauche avec le Parti démocrate ; cela signifierait l’éjection de Berlusconi du gouvernement et sa mise en difficulté. Ceci étant dit, les députés du M5S donnent un peu une impression de dilettante et compter sur eux pour former un gouvernement semble pour le moment difficilement envisageable.
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