ANALYSES

Iran : vers la modération ?

Interview
18 juin 2013
Le point de vue de Karim Pakzad
Quel bilan peut-on dresser des élections qui viennent de se dérouler en Iran ? Peut-on considérer la victoire de Rohani comme celle des modérés et des partisans du mouvement vert, nombreux à être descendus dans les rues pour célébrer cette victoire ?

D’abord, il faut souligner que l’élection présidentielle iranienne a réservé une véritable surprise aussi bien pour une partie de la population iranienne qui n’est pas allée voter, croyant le sort du scrutin déjà scellé. Ils étaient nombreux dans les rues des villes iraniennes à manifester leur joie tout en regrettant a posteriori de n’avoir pas voté pour Rohani. Cette élection a également surpris beaucoup d’observateurs étrangers (même si nous n’avons pas écarté ici même l’élection de Hassan Rohani) qui ne regardent l’Iran et sa situation politique qu’à partir des positions des dirigeants de la république islamique et sous-estiment souvent les électeurs iraniens, une population très cultivée et politisée.
A chaque fois qu’une fenêtre est ouverte, les électeurs en profitent pour exprimer leur aspiration à la démocratie et à l’ouverture de leur pays. C’était le cas en 1997, lorsqu’une personnalité quasi-inconnue, Mohamad Khatami, s’est présentée contre le candidat de l’appareil du régime islamique et a emporté la présidentielle dès le premier tour avec plus de 70 % des voix. C’était aussi le cas en 2009, lorsque Mir Hussein Moussavi a créé une grande dynamique au point que le régime a pris peur, et a été coupable de fraudes et d’une terrible répression envers ses partisans (le Mouvement vert).
Aujourd’hui, on a l’impression que l’histoire se renouvelle. A nouveau, un religieux quasi-inconnu, modéré sans être franchement réformateur, a été soutenu par l’ensemble des réformateurs, a su mobiliser les électeurs – femmes et jeunes en particulier -, et a créé la surprise en devançant tous ses rivaux conservateurs et l’aile dure du régime.
Oui, évidemment, le soutien apporté par les réformateurs comme l’ex-président Khatami et les modérés comme l’ex-président Hachémi Rafsandjani, ont joué un rôle important dans l’élection de Rohani. Mais, ce qui nous a permis de prévoir sa victoire, c’est le soutien des dirigeants du Mouvement vert et des prisonniers politiques qui, de leur cellule, ont appelé à voter Rohani. C’est la raison pour laquelle, beaucoup d’électeurs et d’électrices ont porté le ruban mauve (la couleur électorale de Rohani) et le ruban vert (la couleur électorale de Moussavi).

Que peut-on attendre de ce nouveau président de la République islamique d’Iran, en particulier sur le dossier nucléaire ? Quelle marge de manœuvre dispose-t-il véritablement dans la mesure où l’Ayatollah Ali Khamenei reste l’autorité suprême du pays ?

Dans une première phase, il faut s’attendre à un changement de style et de langage, non seulement sur le dossier nucléaire mais sur l’ensemble de la politique étrangère. Rohani a été chef de la délégation iranienne qui négociait avec les grandes puissances le dossier nucléaire sous la présidence de Mohamad Khatami. On a peut-être oublié mais à cette époque l’Iran a fait de réelles concessions sur son dossier nucléaire allant jusqu’à suspendre l’enrichissement de l’uranium et accepter des contrôles supplémentaires non-obligatoires (accords additionnels de l’AIEA) de ses installations. Ce sont les pays occidentaux qui ont perdu l’occasion, estimant, peut-être à tort, être en mesure d’imposer à l’Iran l’abandon total de son programme nucléaire.
Le changement de style et le changement de langage ont une grande importance dans les relations entre les Etats. Ce sont les déclarations extrémistes et vides de sens d’un Ahmadinejad menaçant Israël qui ont aggravé le soupçon contre le projet nucléaire iranien. Au cours du débat électoral, le dossier nucléaire a fait irruption et nous donne des indications sur l’intention de Rohani et de certains candidats proches du Guide suprême. Aussi bien Rohani qu’un autre candidat Ali Akbar Velayati, conseiller du Guide pour les affaires internationales, ont reproché à Saïd Jalili, le candidat de la droite dure et actuel chef de la délégation iranienne dans les négociations avec le groupe 5+1 d’avoir refusé la proposition du groupe faite en janvier à Almaty : arrêt de l’enrichissement de l’uranium à 20 % et reconnaissance du droit de l’Iran à avoir un programme nucléaire, comprenant un enrichissement à faible dose (moins de 5%). M. Rohani avait même ajouté, « c’est bien que les centrifugeuses tournent à plein, mais ce sera mieux si les roues de l’économie et les besoins de la population tournent aussi », reconnaissant ainsi que les sanctions économiques et financières imposées par les puissances occidentales ont véritablement désorganisé une économie iranienne déjà en souffrance du fait de la politique populiste d’Ahmadinejad.

L’arrivée d’Hassan Rohani au pouvoir va-t-elle modifier la position de l’Iran quant à son engagement en Syrie ? L’Iran, pays influent dans la région, va-t-elle s’engager à trouver une solution politique à la crise syrienne, comme le souhaite l’Egypte ?
Il ne faut pas s’attendre à une modification profonde de la politique iranienne vis-à-vis de la Syrie. Le conflit syrien n’est plus une guerre civile. Au-delà de la répression du régime de Bachar Al-Assad contre un mouvement au début pacifique qui ne demandait même pas la chute du régime, on est passé à une phase où la guerre en Syrie a pris une dimension régionale, si ce n’est internationale avec l’implication de pays de nature différente mais qui ont un objectif commun : renverser le régime de Bachar Al-Assad et ainsi affaiblir l’Iran. Ensuite, cette guerre, par le renforcement considérable des djihadistes liés à Al-Qaïda, a pris de plus en plus le caractère d’une guerre interconfessionnelle entre les sunnites et les chiites. Rohani ou n’importe quel autre dirigeant réformateur ou modéré en Iran ne peut ignorer les conséquences de la chute du régime syrien. Mais, l’Iran peut jouer un rôle de modération dans ce conflit si la prééminence du régime syrien, avec ou sans Assad, est reconnu lors des prochaines négociations auxquelles l’Iran souhaite participer au côté de son allié dans la crise syrienne, la Russie.
Le véritable changement attendu à moyen terme est la volonté de Rohani et de toutes les factions iraniennes de trouver un terrain d’entente avec les Etats-Unis. L’Iran a toujours regardé vers Washington, même au moment où il négociait avec la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne sur son dossier nucléaire sous Khatami. Dans un de ses écrits, Hassan Rohani compare l’Occident à un village de plusieurs membres avec un chef de village qui est Les Etats-Unis. Il est plus facile et plus productif de négocier avec le chef du village, dit-il, qu’avec ses membres. De toute façon, les Européens demandent toujours l’avis de Washington lorsqu’ils prennent une décision, ajoute-t-il. La Maison Blanche ne s’est pas trompée lorsque dans une déclaration au lendemain de l’élection de Rohani, elle a annoncé la disposition des Etats-Unis de parler directement avec les Iraniens.