ANALYSES

Arrêt de l’audiovisuel public en Grèce : un risque pour la démocratie ?

Interview
14 juin 2013
Le point de vue de Fabio Liberti, directeur de recherche à l’IRIS
Comment expliquer la décision de la Grèce d’arrêter la télévision et radio publiques ? Est-ce uniquement dû à des coupes budgétaires ? Où en est la crise économique?

Il faut recadrer cette décision du gouvernement grec dans le contexte politique et économique plus général du pays. La Grèce est toujours en récession et son déficit est hors de contrôle. En 2012, il représentait 10% du PIB. A titre de comparaison, celui de la France était de 4,8%. Pendant les trois ans où la Grèce a frôlé la faillite, des plans d’aide ont été négociés et ratifiés entre le gouvernement et la « troïka ». Les états européens ont consenti d’importants prêts à la Grèce pour lui éviter la faillite. Il est évident que ces prêts ont été accompagnés de conditions pour améliorer la compétitivité de l’économie grecque et rendre ses finances publiques viables. Dans la mesure où l’Etat grec était en faillite justement à cause de son manque de compétitivité, uni à des problèmes endémiques de corruption et d’inefficacité et hypertrophie du secteur public, il a logiquement été demandé à la Grèce de mener toute une série de réformes, même draconiennes, dont une cure d’amaigrissement de ce secteur public.
Il faut savoir que, pour dix millions d’habitants, la Grèce emploie un million de fonctionnaires, souvent embauchés sur des critères clientélistes : il était habituel qu’un nouveau gouvernement, qui venait de gagner les élections, y place alors ses « amis » et soutiens. On voit mal comment ce fonctionnement ne pouvait pas s’appliquer également au secteur de l’audiovisuel public. L’ERT, qui vient d’être fermé, était effectivement devenu une société surdimensionnée, et à l’efficacité économique et journalistique douteuse puisque chaque nouveau gouvernement y plaçait ses hommes pour contrôler l’information publique.

Cette fermeture présente-t-elle un risque pour la démocratie ? Pourrait-elle mener à une crise politique, considérant que la coalition est divisée sur la question ?

Il ne faut pas regarder ce qui se passe en Grèce en imaginant un parallèle avec la situation en France. Bien sûr, s’en prendre à l’information publique implique une atteinte à la liberté d’expression et à la circulation de l’information, c’est un symbole très fort. Laisser l’information aux seules entreprises privées est un problème majeur dans une démocratie. Le gouvernement aurait pû et dû effectuer ses reformes tout en évitant de fermer la télévision, mais il faut comprendre la gravité de la situation grecque. La mesure choque aussi pour son coté symbolique, recherché probablement par le gouvernement. Le premier ministre a sans doute voulu montrer aux citoyens grecs qu’il prenait des mesures, qu’il était prêt à aller au-delà des sujets tabous afin de réduire le déficit et redresser les finances publiques.
Mais la corruption du secteur public grec est très importante, et les citoyens en sont conscients. Je ne vois pas de risques de crise politique. Au vu des sondages aujourd’hui en Grèce, la situation est à peu près identique à celle des élections de 2012.

Certains ont demandé à l’Union européenne d’annuler la décision du gouvernement grec, d’autres ont reproché à la commission d’être à l’origine de cette décision. Quel rôle l’Union européenne peut-elle vraiment jouer dans ces questions intérieures ?

Si on avait laissé la Grèce faire faillite, on ne parlerait plus de la fermeture de la télévision, mais de celle d’hôpitaux et d’écoles. Si les citoyens grecs ont voté pour Samaras et ont donc décidé de maintenir la Grèce à l’intérieur de l’Union européenne, c’est aussi parce qu’ils savaient que le pays était mal géré, en proie à une évasion fiscale phénoménale et un déficit incontrôlable. Il est évident que l’argent européen n’allait pas être investi sans changement. Alors peut-on vraiment dire que c’est l’Union européenne, la « méchante Europe », qui a décidé la fermeture ? Oui et non. Oui, indirectement : les chefs d’Etat européens ont posé des conditions, parmi lesquelles la réduction des inefficacités dans le secteur public ; et non, parce qu’ils n’ont imposé aucune mesure ciblant précisément la télévision publique. Dire que la commission européenne a forcé la Grèce à fermer son secteur audiovisuel public est donc imprécis et exagéré. Et il est évident que le gouvernement aurait dû éviter cette fermeture, qui n’est que temporaire de toute manière, une nouvelle société, allégée d’une bonne partie des employés, devant transmettre dès septembre. Le symbole est donc regrettable, mais il faut prendre en compte toutes les informations avant de tirer des conclusions.

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